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Le Coeur de la Croix

Le Coeur de la Croix

Titel: Le Coeur de la Croix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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doigt de saint Mamas ou quelques poils de la barbe du Prophète pour
qu’ils ferment les yeux, il n’en allait pas de même avec les ordres militaires.
    Chaque fois que des Templiers ou des Hospitaliers
démasquaient un de ces trafiquants – soit qu’ils l’eussent rencontré aux
abords d’une tombe, soit qu’ils se fussent fait passer pour un client –,
sa boutique était incendiée, ses biens saisis et sa famille jetée en prison. Le
trafiquant, lui, était généralement torturé pendant de longs jours – afin
de savoir s’il n’avait pas dérobé quelque véritable relique – avant d’être
pendu, ou crucifié s’il était juif.
    Des plaisantins dotés d’un humour douteux prétendaient que
tout ce dont le trafic de reliques avait besoin pour fonctionner était de bons
vendeurs et de riches clients. La marchandise, elle, ne manquait jamais. En
fait, la rumeur voulait que ce marché fût « autoalimenté » : les
vendeurs arrêtés fournissant, à leur corps défendant, de quoi ravitailler leurs
confrères.
    Les cimetières étant étrangement laissés sans surveillance
les nuits suivant la capture d’un trafiquant, il suffisait à ses collègues de
s’y rendre pour réachalander leurs éventaires. Un simple cadavre pouvait
fournir à cinq ou six trafiquants suffisamment de marchandise pour un an, deux
si le mort était assez grand. Il existait tout un art pour débiter un corps
afin de vendre plutôt qu’un bras une main, plutôt qu’une main un doigt, voire
une phalange ou le bout d’un ongle. Bien sûr, on proposait d’autres reliques
que des bribes de cadavre ; par exemple des vêtements ou tout objet touché
par un saint (s’il ne l’avait qu’entr’aperçu, on accordait un rabais). Cela
dit, les pèlerins se montraient surtout friands d’ossements.
    Le principal danger qui menaçait ces commerçants de
l’extrême, sortes de préfaciers du paradis, était la dénonciation. Car, s’ils
se disaient ravis de pouvoir se fournir en marchandises auprès de leurs défunts
collègues, et en revendiquaient le privilège, tous redoutaient le jour où ce
serait à eux d’approvisionner leurs concurrents.
    Ces hommes étaient donc souvent des solitaires, qui ne se
fréquentaient jamais les uns les autres et ne se croisaient que dans les
cimetières, à la tombée de la nuit. Il n’était pas rare que les plus pauvres,
les plus malintentionnés, ou ceux qui n’avaient plus d’articles en magasin,
dénonçassent leurs confrères.
    C’est d’ailleurs ce qui venait d’arriver à notre marchand,
et ce pour une raison très particulière : il avait eu la chance (ou plutôt
la déveine) de mettre la main, sur une véritable relique. Cela avait provoqué
la jalousie et le ressentiment de toute la profession, ainsi que la colère de
l’Église. Averti de la venue imminente des Templiers, Massada avait quitté
précipitamment sa petite boutique de Nazareth et s’était éclipsé avec femme et
bagages.
     
    Massada tenait son nom d’une forteresse bâtie jadis par
Hérode le Grand, où s’étaient réfugiés les zélotes après la prise de Jérusalem
et l’incendie du Temple par les Romains. Son père l’avait baptisé ainsi parce
que Massada, dont le nanisme s’était vu dès la naissance, était pour lui
« comme le peuple juif » : un nain par rapport aux autres, mais
d’un courage et d’une force sans égal. En vérité, Massada aurait dû plutôt être
surnommé « Massada le Petit », car il était comme Bilis, le roi des
Antipodes : peureux, lâche, veule, préférant compter ses deniers plutôt
que les coups, et se rangeant toujours à l’avis du plus fort. Il avait sur sa
profession une opinion bien arrêtée. Il se disait « ami des arts » et
« souscripteur des religions ». Il tenait d’ailleurs ce discours à
tous les acheteurs qui venaient dans sa petite boutique de Nazareth, et se
plaignait régulièrement de ce qu’il n’y ait pas plus de cultes sur terre.
« J’adore les dieux, je me sens proche de toutes les religions, l’ami de
tous les apôtres », répétait-il à l’envi. « Quand un prêtre vous
bénit, que vous reste-t-il ensuite ? Rien. Quand vous m’achetez une
relique, vous acquérez – mieux qu’un objet – ce qui fera l’admiration
de tous vos vrais amis et excitera la jalousie des autres : un
sauf-conduit pour le paradis, une patente de l’accès privilégié qui vous y est
réservé. » (Ce discours était

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