Le Coeur de la Croix
d’ailleurs en parfait accord avec la
tradition, qui voulait que saint Pierre fût le saint patron des marchands de
reliques.)
Né pauvre en 1135, Massada avait acquis une jolie fortune
grâce au juteux commerce des reliques – vendues à des clients chaque année
plus nombreux depuis que Nazareth avait été prise, en 1099, par les Francs. Un
contrat le liait à l’évêché de la ville, auquel il s’était engagé à fournir à
chaque Pâque – pour la nouvelle année – la crème de ses
« reliques ».
On le voyait souvent rôder dans le désert, en compagnie d’un
apprenti, jamais le même, à la recherche de cités antiques ou de lieux autrefois
fréquentés par des personnages du Coran et de la Bible – « Ancien,
nouveau, apocryphes, tous les Testaments m’intéressent… », précisait
Massada. De Bethléem, il rapportait des restes de langes et des jouets de Jésus
enfant (poupées de chiffons, chevaux de bois), ainsi que de petites boîtes
contenant de la myrrhe ou de l’encens (cadeaux des Rois mages) ; de
Jérusalem, des deniers de Judas par demi-douzaines, des branches d’olivier, de
nombreux fragments de la Vraie Croix, les derniers souffles du Christ (dans des
fioles étanches, bouchées à la cire), ainsi que les bandelettes et les aromates
avec lesquelles Joseph d’Arimathie l’avait mis dans la tombe. Il prétendait
d’ailleurs entretenir avec ce dernier une relation d’un type étrange, puisqu’il
se vantait d’avoir été l’ami de l’un de ses lointains descendants.
« Arimathie est l’inventeur de la profession », clamait Massada. Ce
qui avait le don de mettre l’évêque de Nazareth en colère.
On venait de loin pour le voir. Il était inconcevable pour
les grands d’Occident de revenir d’Orient sans une relique de chez Massada. Le
comte de Flandre, Philippe d’Alsace, et en leur temps Louis VII – qui
y laissa des sommes indécentes pour combler sa jeune épouse, Aliénor
d’Aquitaine – et Conrad III s’étaient fournis chez lui. Et tous de
recommander leur « bon ami » Massada.
Comme ses reliques étaient fausses, les Templiers et les
Hospitaliers avaient reçu la consigne de le laisser en paix. En outre, Massada
promettait de remettre immédiatement – moyennant compensation – toute
relique susceptible d’être vraie à l’évêché de Nazareth. Car, si l’Église
condamnait de la façon la plus ferme ceux qui se livraient à la simonie, elle
fermait les yeux sur les diverses activités de celui qui était son
« fournisseur officiel » : Massada.
En échange, il couvrait d’or et de reliques le patriarche de
Jérusalem et ses fils, les évêques d’Acre et de Lydda. De temps à autre, il
leur faisait un cadeau. Une année, cependant, Massada commit un impair :
il offrit onze doigts de saint Jean-Baptiste. Mais Héraclius, le patriarche de
Jérusalem, prit le parti d’en rire, et l’incident ne se reproduisit plus.
« Gare à vous, l’avertissait cependant Héraclius, si
vous en trouvez une vraie et ne nous la confiez pas. » Et de faire le
geste de lui trancher la gorge, avant d’ajouter : « Les gueux sont à
vous, mais les saints sont à moi. N’oubliez pas… »
Massada tremblait de tous ses membres et promettait :
« Non, non, cela n’arrivera jamais. »
Il était pourtant, à son insu, l’heureux propriétaire d’une
véritable relique, qu’il n’avait jamais signalée.
Malgré son immense fortune, Massada affectait un mode de vie
des plus simples. Il dormait et mangeait dans son magasin, qui présentait
toutes les apparences d’une boutique d’apothicaire. Où donc était son or ?
Nul n’avait de réponse satisfaisante. On échafaudait à ce sujet toutes sortes
d’hypothèses, plus farfelues les unes que les autres, allant de dons faits à
des Juifs d’Occident afin de soutenir leur cause, à la construction d’une cité
dans le désert – où il allait si souvent.
En fait, ce phénomène avait une explication, ou plutôt en
avait deux ; tout comme la bonne fortune de Massada : une vraie,
ignorée de tous, et une fausse, connue des plus sages – ou des mieux
informés.
À la question de la pauvreté apparente de Massada, la
réponse de ceux qui se croyaient les mieux avertis était à la fois logique et
simple : s’il vivait dans l’inconfort, c’était à cause de son mariage. Il
faut dire que sa femme, prénommée Fémie, achetait tellement de bijoux qu’il
paraissait
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