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Le Coeur de la Croix

Le Coeur de la Croix

Titel: Le Coeur de la Croix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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chemin.
    À côté d’elle, des Sarrasins étaient étendus. Morts depuis
quelque temps. Une carcasse de chamelle pourrissait sur le bas-côté, non loin
du corps fendu en deux d’un jeune Mahométan. Remarquant une jolie clochette de
bronze, à moitié enfouie dans le sable, Massada sauta à terre pour la ramasser,
et Carabas s’arrêta. C’est alors que la chienne poussa un nouvel aboiement.
    Comme il s’approchait d’elle pour la caresser, Massada avisa
un pan de tissu noir dans la poussière. S’assurant que sa femme ne regardait
pas dans sa direction, il le prit délicatement, et le palpa entre ses doigts.
C’était un foulard de soie d’une qualité extraordinaire. Il se rappelait en
avoir vu un au cou d’une très belle jeune femme, quelques semaines auparavant,
à Nazareth. Qu’était devenue sa propriétaire ?
    Soudain, Carabas tapa du sabot. Massada enfouit le foulard
dans son aumônière, écouta, regarda de tous côtés, mais n’entendit ni ne vit
rien. Puis l’âne s’ébroua, remua la tête de gauche et de droite – comme
pressé de repartir ; Fémie était avachie sur son siège, lasse de ne pas
être obéie de Carabas. Mais quelque chose la titillait.
    — On ne peut pas la laisser là, dit-elle en montrant la
chienne.
    — C’est bon, je la prends…, lâcha Massada, exaspéré.
    Massada prit l’animal dans ses bras et le déposa à
l’arrière, sous la bâche qui servait à les protéger du soleil. Puis il récupéra
les rênes, lâcha un « Huhau ! » qui tenait plus de l’apostrophe
que de l’ordre, et la carriole eut un petit cahot : ils étaient repartis.
Massada ne s’était même pas rendu compte qu’il avait oublié de prendre ce pour
quoi il était descendu : la cloche de bronze.
    Deux heures plus tard, ils laissèrent derrière eux les
sommets de l’Hermon, où Saladin avait l’habitude d’envoyer ses soldats ramasser
de la neige, et atteignirent les contreforts de l’Anti-Liban où se trouvait
Damas.
     
    La ville est une anomalie dans le désert. Ceinte d’une
triple muraille de pierres blanches, où s’espacent par d’égales distances de
hautes tours carrées surmontées d’étendards, elle ressemble à un morceau de
ciel tombé sur le sable, à un paradis sur terre. À ses pieds, vergers et jardins
forment une couronne de verdure, d’où dépasse par endroits la tête indolente
d’un palmier dattier se balançant au gré du vent. Ils rappellent aux voyageurs
l’origine de la ville, qui doit sa fortune – et son existence – à une
oasis, la Ghutah.
    La Ghutah, dit-on, inspira jadis à Dieu les ailes de
Gabriel. À l’instar de la ville, elle est maillée de rivières dont les flots
alimentent en eau douce roseraies et citernes. Ces rivières sont les veines de
Damas, au pouls desquelles bat son cœur – car si Rome et Jérusalem ont
sept collines, Damas a sept fleuves. Ils sont les sept enfants d’un même père,
le Barada, qui prend sa source à l’orient, dans le pays sauvage de Zabadâni.
Ces bras naviguent de concert un certain temps, puis se divisent à l’approche
de la ville.
    Plus de cent dix mille jardins de roses ont pu fleurir
ainsi, nourrissant l’atmosphère de riches senteurs. C’est au sein de ces
roseraies que, d’entrepôts cylindriques bâtis au-dessus de profondes fosses,
s’exhalent les odeurs qui font de Damas Damas. Elles marquent tout de leurs
effluves, teignant jusqu’aux magnifiques murs blancs, qu’on dirait à chaque
heure du jour revêtus des splendeurs de l’aurore.
    Pourtant, après avoir trop bu, de vieux sages prétentieux à
la longue barbe jaunie par la pipe lèvent pompeusement le doigt,
avertissant : « Ces odeurs ne sont pas celles que vous croyez… Ce
sont celles de l’enfer. » Puis ils racontent qu’en 116 (après l’Hégire),
en pleine place du marché, des monstres invisibles dévorèrent le fol Abd al-Azrad –
l’auteur du sinistre et redouté Kitab al-Azif ; scène épouvantable,
dont le souvenir imprègne encore la mémoire de rares Damascènes – les
autres préférant commercer.
    Quotidiennement, des marchands poussent avec une badine
leurs ânes, petits chevaux ou dromadaires vers la ville. Les caravanes
lourdement chargées naviguent mollement sur des chemins poussiéreux, leurs
guides se fiant à leur nez pour trouver As-Sagïr, la porte principale. À sa
périphérie se presse une indescriptible cohue, attendant d’être fouillée par quelques
gardes nonchalants.

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