le collier sacré de Montézuma
faire porter les bagages dans la chambre de sa femme, on les conduisit de l’autre côté du grand palier, dans l’une des chambres d’apparat, une sorte de hall de gare meublé dans le style pompeux cher aux Habsbourg où la majeure partie du terrain était occupée par deux immenses lits de deux personnes accolés selon la mode du pays. Il s’apprêtait à ouvrir la bouche pour protester quand Joachim le devança en s’inclinant devant Lisa :
— Ce matin, un accident a eu lieu dans la salle de bains de M me la princesse. Elle a été inondée et sa chambre aussi.
— Que s’est-il passé ?
— Le dernier gel a dû faire éclater une conduite et quelque chose s’est bouché. Le plombier a été prévenu…
— Allons voir ! décréta Aldo.
La chambre de sa femme n’avait rien à voir avec le mausolée dans lequel on voulait le faire coucher. Un seul lit à « la polonaise », habillé de satin broché vert céladon, de jolis meubles du XVIII e italien ou français, des tentures assorties au lit. C’était un endroit charmant où Aldo avait de bien aimables souvenirs. Pour l’instant, un valet et une femme de chambre agenouillés achevaient d’éponger la salle de bains et l’on avait retiré les tapis sous lesquels le parquet était sec.
— Ce n’est pas grave au point de nous faire camper dans une succursale de la Hofburg où je ne fermerai pas l’œil de la nuit ! Tâchez de nous trouver des carpettes et nous nous servirons de la salle de bains du palier.
— Mais, Votre Excellence ! M me la comtesse sera sûrement mécontente quand elle rentrera…
— Elle est à une messe de mariage à Laxenbourg, expliqua Lisa.
— J’en fais mon affaire ! s’entêta Aldo. Nous dormirons ici ! C’est ça ou nous allons nous réfugier chez Sacher !
Avec une satisfaction maligne, il vit s’emplir d’horreur les yeux de son ennemi tandis que, la mine crucifiée, il quittait le lieu du drame avec les autres serviteurs. Ce n’était qu’un détail sans importance mais ce coup de force domestique avait réconforté Aldo. Lisa se mit à rire quand, la porte dûment refermée, il la prit dans ses bras :
— Tu ne le soupçonnes tout de même pas d’avoir lui-même percé la conduite ?
— Je le crois capable de n’importe quoi pour m’être désagréable. Toi, je ne sais pas, mais moi je me sens incapable de t’aimer dans un endroit qui ressemble à la crypte des Capucins…
Ce qui n’était évidemment pas le cas sous le dais de satin du lit à la polonaise…
Chaque fois qu’il revoyait sa belle-grand-mère, Aldo éprouvait un sentiment d’admiration analogue à celui que lui inspirait Tante Amélie. Grande et mince comme elle mais toujours vêtue de noir et de blanc, elle avait un visage à peine ridé tenu haut par un long cou habillé d’une guimpe baleinée sous une couronne de tresses argentées. Il y retrouvait le sourire de Lisa et surtout les yeux de Lisa, leur rare teinte d’améthyste et leur vitalité. De son côté, Valérie von Adlerstein s’était prise d’affection pour ce petit-fils hors normes qu’à leur première rencontre elle avait plutôt maltraité (8) .
Ce soir, elle était particulièrement sensible à la tension qu’elle devinait en lui et à l’inquiétude latente de son regard. Le merveilleux moment de détente qu’Aldo avait goûté avec Lisa depuis son arrivée lui avait fait du bien mais à présent le problème crucial qu’il avait à résoudre reprenait ses droits.
Avec sa précision coutumière, il avait retracé ce qui s’était passé depuis la déroute de Sainte-Clotilde pour finir par la séance du bois de Boulogne, ne gardant pour lui que le subit éclat de rire qui lui avait glacé le sang. Déjà, Lisa réagissait avec une anxiété qu’elle ne cherchait plus à cacher. Elle avait encore trop proche dans sa mémoire son angoisse quand, trois ans plus tôt, Aldo était tombé entre les griffes d’un malfaiteur impitoyable (9) .
— Qu’adviendra-t-il si, au bout des trois mois, tu n’as pas réussi à mettre la main sur ce collier ?
— D’abord, tu devrais dire « nous ». Ce n’est pas gentil d’oublier Adalbert dont tu sais parfaitement qu’il va en prendre sa bonne part. Ensuite… je n’ai pas de réponse à t’offrir. Je n’en ai aucune idée… Sinon que Gilles sera vraisemblablement exécuté.
— Ce serait stupide, à mon avis, dit M me von Adlerstein. Un otage assassiné ne
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