le collier sacré de Montézuma
de l’avoir amenée à ce triste état.
— Comment cela ? fit Aldo. Elle se vanterait d’avoir occasionné la démence de cette malheureuse qui est morte il n’y a pas bien longtemps, il me semble ?
— Environ trois ans. Je confesse qu’à ce moment-là, j’ai éprouvé une vague envie d’aller voir Eva, mais j’ai réussi à y résister parce que je jugeais ce désir assez méprisable : une simple… mais peu glorieuse curiosité.
— Vous vouliez savoir si elle se réjouirait de la nouvelle ?
— Oui. Admettez que ce n’était guère élégant ? Pourtant, j’ai regretté après de ne pas y être allée… Et ce n’est pas plus honorable !
— Pourquoi ?
— Maria Kolinski, sa demi-sœur, m’a raconté que, loin de la réjouir, la nouvelle l’a mise hors d’elle : la mort a soustrait sa rivale à la malédiction qu’elle lui avait jetée, sans compter qu’à présent, elle a rejoint Maximilien. Ce qui oblige son entourage à redoubler de vigilance.
— Je trouve ça idiot, émit Lisa. À son âge et si elle est en si mauvais état, pourquoi ne pas la laisser échapper, elle aussi, à une existence pénible ?
— D’abord, elle n’est pas en « si mauvais état », comme tu dis. Ensuite, elle possède une belle fortune héritée de son père qui avait pris ses précautions. Ceux qui la soignent recevront à sa mort une coquette somme qui leur échapperait si le décès n’était pas naturel : autrement dit, si elle était assassinée ou, pis, si elle se suicidait. Pour ce catholique intransigeant, mettre fin soi-même à ses jours était le pire des crimes. Et elle a déjà fait une tentative…
Après l’avoir écoutée avec attention, Aldo garda le silence quelques instants :
— Il faut que je lui parle, dit-il enfin. C’est ma seule chance d’apprendre ce qu’elle a fait de ce damné collier. Pensez-vous qu’elle me recevrait ?
— Vous seul, non. Elle serait sûrement d’accord mais pas les gens qui la gardent puisque vous êtes un inconnu. Mais avec moi, oui, je pense…
— Alors, le plus tôt sera le mieux !
— Un instant, coupa Lisa. Comment penses-tu obtenir d’une malade mentale qu’elle te raconte comment et pourquoi elle a volé ces pierres ? Que vas-tu lui dire ?
— La vérité, tout simplement, et je vais me présenter pour ce que je suis : un homme qui recherche un joyau perdu… mais pour sa propre collection. Pour ce que j’en sais, je ne pense pas qu’elle serait sensible à l’idée qu’il s’agit de sauver une vie humaine.
La Hohe Warte, à l’ouest de Vienne, où se trouvaient les grandes serres Rothschild, était l’une de ces artères paisibles où les parcs des propriétés faisaient passer de la ville à la campagne sans solution de continuité. Qui la suivait se retrouvait dans les vignes fournissant les petits vins blancs aux « Heuriger (10) » de Grinzing, en route pour le mont Kahlenberg et la forêt viennoise.
Entourée d’un vaste jardin, la maison d’Eva Reichenberg accolait plusieurs pavillons carrés couronnés de terrasses à balustres sur lesquels se tordaient les branches capricieuses d’une glycine encore privée de ses fleurs. Sous le léger soleil apparu vers midi, l’ensemble donnait une impression de calme et d’harmonie propre à apaiser des nerfs malades. Les deux visiteurs n’y furent pas indifférents. Un valet en livrée bleue les accueillit, vite relayé par une forte femme habillée comme au début du siècle d’une longue jupe grise et d’un corsage blanc à manches amples et col baleiné, ses cheveux poivre et sel coiffés en brioche et le nez chaussé de lunettes, en qui l’on devinait sans peine une infirmière. Son sourire découvrit une denture bicolore où l’or alternait avec un blanc légèrement grisâtre. Elle répandait une vivifiante odeur de savon de Marseille :
— Je suis Fräulein Gottorp, déclara-t-elle en attachant sur Aldo un regard scrutateur, la demoiselle de compagnie de la comtesse Eva. Elle est très heureuse de recevoir M me von Adlerstein qui est de ses amies et aussi M. le prince… Morosini, n’est-ce pas ? Mais elle se sent un peu lasse, ce tantôt. Je vais devoir les prier de bien vouloir me suivre jusqu’à sa chambre…
— J’espère que nous ne sommes pas importuns ? demanda la comtesse.
— Absolument pas ! Au contraire. Il est toujours agréable de recevoir une amie d’autrefois et de faire de nouvelles
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