le collier sacré de Montézuma
ses bronches n’était plus fondée. Deux heures après, son livre sous le bras, il se dirigeait au pas de promenade vers le Judenbuurt – le quartier des Juifs – où habitait évidemment Jacob Meisel, le magicien en pierres précieuses.
À Amsterdam, l’appellation Judenbuurt n’impliquait nullement l’idée de ghetto ou d’un quelconque monde à part. Les gens de la « Venise du Nord » – un surnom qui agaçait Morosini ! – ayant toujours été totalement étrangers aux préjugés religieux, il ne leur était pas apparu utile de recourir à des circonlocutions hypocrites. De même, les juifs n’avaient jamais cherché à s’identifier ou à éviter de le faire. La question ne se posait pas, tout simplement. Ils étaient venus jadis d’Espagne ou du Portugal, chassés par l’Inquisition, et avaient apporté avec eux leur savoir-faire et leur art du négoce. Ils contribuèrent avec succès aux entreprises commerciales avec les Indes, fondèrent des librairies dont les ouvrages en hébreu se répandirent dans toute l’Europe et furent suivis d’autres en différentes langues, éditant des livres passés en contrebande parce que interdits ailleurs. Enfin l’industrie du diamant constituait un autre secteur juif et la fameuse maison Asscher, qui eut l’honneur de tailler le plus gros diamant du monde, le Cullinan, dont la partie la plus importante brille sur le sceptre des rois d’Angleterre, occupait une sorte de château féodal en briques rouges avec créneaux et merlons se situant à la lisière du Judenbuurt. Ses ouvriers logeaient aux alentours, dans des rues aux noms évocateurs : rue de l’Émeraude, du Saphir, de la Topaze, du Rubis. La ségrégation était à ce point inexistante que Rembrandt habita le quartier, juste en face de la maison du rabbin, durant quelques années, ainsi qu’en témoigne La fiancée juive , l’une de ses plus belles toiles (17) .
Jacob Meisel habitait, dans la Judenbreestraat, une belle vieille maison à pignon « en cloche » et la porte fut ouverte au visiteur par une jeune fille aux joues roses dont le bonnet et le tablier blanc soigneusement amidonné semblaient nés en même temps que le logis. En réponse à son sourire, à son regard interrogateur, Aldo, qui ne parlait pas le néerlandais, usa de l’anglais pour demander si le maître de maison acceptait de le recevoir et tendit une de ses cartes de visite sur laquelle il avait spécifié qu’il était envoyé par Louis de Rothschild. Il fut aussitôt introduit dans un long couloir pavé de carreaux blancs et noirs, étincelants de propreté, qui filait jusqu’à une haute fenêtre dont on avait l’impression qu’elle était au moins à un kilomètre. C’était typique des anciennes maisons, accolées les unes aux autres, qui rattrapaient en profondeur leur peu de largeur. L’impression d’entrer dans un Vermeer.
La jeune fille s’esquiva mais revint rapidement, invita Morosini à la suivre, le menant presque au bout du couloir, et l’introduisit dans une pièce dont la large fenêtre à petits carreaux donnait sur un jardin. Les massifs meubles anciens, les faïences de Delft et les tentures tissées qui avaient fait, jadis, le voyage de Sumatra accentuaient l’impression de retour au passé. Fugitive, parce qu’un homme déjà âgé dont le front dégarni s’entourait de rares cheveux gris s’était levé de sa table à écrire pour venir à sa rencontre :
— Soyez le très bien venu, Monsieur le prince ! Les amis du baron Louis sont chez eux dans ma maison et je suis heureux de connaître celui qui a si souvent risqué sa vie pour reconstituer le Grand Pectoral…
— L’un de ceux, corrigea Aldo en serrant la main qu’on lui tendait. Sans Adalbert Vidal-Pellicorne… et sans vos pierres si merveilleusement imitées, je n’en serais jamais venu à bout.
— Qui peut savoir ? Mais prenez place, s’il vous plaît, et dites-moi ce qui me vaut une si heureuse visite… Puis-je vous offrir du thé, du café, du chocolat ?
— Votre choix sera le mien, murmura Aldo en s’asseyant sur un siège d’ébène garni de coussins jaunes… et en luttant désespérément contre une soudaine envie de pleurer parce qu’il venait de s’apercevoir que la manche gauche du vêtement de laine brune de Jacob Meisel pendait à son côté. Vide !…
Cet homme souriant au visage affable, aux doux yeux gris, à la voix chaleureuse, était manchot. Jamais plus il ne pourrait
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