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Le combat des ombres

Le combat des ombres

Titel: Le combat des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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avait depuis accompagné tous les jours du prélat. Un joli souvenir en vérité, vieux de plus de vingt ans. Étrange… Il lui semblait maintenant que son esprit abritait deux mémoires. Celle, lointaine mais vivace, des petits moments sans autre importance que le bonheur qu'ils ramenaient avec eux. Ses parties de pêche avec son frère aîné ou leurs grandes aventures imaginées lorsqu'ils conspiraient au fond du parc de la vaste demeure familiale. Les rires de sa mère, cascades de gorge qui lui évoquaient un oiseau rare. La douceur de peau de quelques dames ou moins dames. Cette mémoire-là s'était scellée, devenant imperméable à l'autre, au moment même où la grâce avait assailli Benedetti. Une sorte d'amour immense et douloureux, auquel il ne s'attendait pas, qu'il ne réclamait pas, qu'au fond il aurait volontiers repoussé si le choix avait été sien, l'avait assommé. Dieu s'était imposé à lui, estompant le reste. Benedetti n'avait plus eu qu'une fin : Le servir de toutes ses forces et de toute son intelligence. Depuis, lorsqu'il cherchait, au creux des nuits d'accablement, un seul joli souvenir abandonné par ces vingt ans de foi dévorante, aucun ne lui venait. S'ouvrait la deuxième mémoire, celle des complots, des fourberies, du mensonge. Du meurtre aussi. Tant de meurtres, d'êtres dont il avait ordonné le trépas. Pourtant, une seule de ces odieuses cicatrices le rongerait jusqu'à son ultime souffle. Il s'accommoderait des autres. Il s'en était déjà accommodé. Ne persistait qu'un visage, un seul nom. Benoît XI*, sa plaie purulente. Benoît l'angélique qu'il avait aimé comme un frère, pour qui il aurait œuvré sans répit mais dont il avait commandé l'enherbement. Benoît avait trépassé entre les bras de son assassin, murmurant dans son délire d'agonie des paroles de fraternité. Les larmes montèrent aux yeux de Benedetti lorsqu'il ferma les paupières afin de se contraindre à revoir, pour la millième fois, la large tache de vomissures sanglantes qui maculait la robe du pape défunt.
    Benoît, agneau tant aimé de Dieu. Vois-tu mon frère, je crois du plus profond de mon âme que le pire péché que je pourrais commettre, moi qui les ai tous commis en pleine conscience, serait de chercher l'absolution pour ta mort. Je souhaite que tu demeures à jamais mon pire cauchemar, ma malédiction, la folie qui rampe parfois vers moi et contre laquelle je lutte jour après jour. Je désire que ton agonie me tourmente jusqu'à l'issue de la mienne.

    Un huissier courbé d'obséquiosité passa la tête par l'entrebâillement de la haute porte et précisa d'une voix plaintive :
    – J'ai frappé à deux reprises, Éminence.
    – Est-il arrivé ?
    – Il patiente dans l'antichambre, monseigneur.
    – Introduisez-le à l'instant.
    Un vide déplaisant se forma dans la poitrine d'Honorius Benedetti. Et si les nouvelles étaient fâcheuses, et si la mission avait été un échec, et si… Assez ! Il s'éventa d'un mouvement nerveux, faisant gémir les fragiles lamelles de nacre.
    Le prélat tendit la main au-dessus de son bureau et accueillit le jeune dominicain d'un :
    – Frère Bartolomeo, j'avoue mon impatience… et mon appréhension à vous revoir.
    – Éminence…
    – Asseyez-vous, retenez encore quelques instants vos nouvelles. Voyez-vous, il est d'exceptionnels moments dans la vie que l'on néglige à tort. Notre stupide hâte à vouloir conclure en est la cause. Or, ces moments-là sont les verrous de nos existences. Une fois poussées derrière nous, les portes sont définitivement closes, sans espoir de retour. Il convient donc de restituer à ces instants toute leur extrême importance.
    Bartolomeo opina d'un hochement de tête, incertain de la signification exacte de la remarque du camerlingue. Ces derniers mois se résumaient à un tel bouleversement qu'il en avait parfois le tournis.
    Obscur petit inquisiteur à Carcassonne, il avait requis avec obstination audience du camerlingue afin de dénoncer un frère maléfique, jouissant des épouvantables tortures qu'il dispensait à des innocents. Le pernicieux Nicolas Florin savourait toutes les facettes de son talent destructeur. Troubler, séduire, enivrer, conquérir et saccager des âmes trop candides faisait son délice en le confortant dans la certitude de son pouvoir délétère. Bartolomeo avait été de ces âmes-là. Nicolas l'avait charmé avec patience, le laissant sans volonté de résister

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