Le combat des ombres
mire…
Elle se précipita hors de la chambre, abandonnant Mathilde qui se tordait de douleur, affalée sur le flanc.
Deux valets parvinrent à l'installer sur son lit. Une servante s'obstina à lui humidifier le front avant que le mire, tiré du sommeil, n'arrive enfin. Mathilde était d'une pâleur de cire. À moitié inconsciente, elle ne se plaignait presque plus, râlant par intermittences, cherchant son souffle à grandes inspirations. Le mire lui tâta le ventre, la gorge, et préconisa une saignée afin d'éclaircir ses humeurs.
Mathilde de Souarcy expira au petit matin sans avoir repris connaissance, juste après l'onction du front dispensée en urgence par le chapelain de madame de Neyrat.
Blême de fatigue, Angélique rejoignit sa chambre. Elle s'adossa contre le battant dont elle venait de tirer le verrou et plaqua la main sur sa mignonne bouche pour étouffer le pouffement qui chahutait dans sa gorge depuis une heure. Le mire l'avait bien secondée, en pratiquant une saignée quand cette garce prétentieuse se vidait déjà de son sang grâce au verre pilé que la fillette avait ajouté aux nougats, songeant que les éclats de noisette justifieraient les duretés sous la dent qui risquaient de surprendre Mathilde. Deux protégées, c'était une de trop. Angélique n'avait nulle envie de partager les libéralités de sa mère de substitution avec une bécasse péremptoire. Elle avait été bonne élève et avait profité de la science infecte dispensée par la malfaise. Elle tira du fond de son almaire le coffret qu'elle avait emporté en laissant derrière elle la masure. Elle s'y était morfondue toutes ces années en attendant une chance d'en sortir pour toujours. Qu'avaient-elles donc toutes à la vouloir comme enfante ? Bah, elle n'allait pas s'en plaindre. Elle contempla le mince réceptaire noirci des effarantes recettes de la malfaise, des recettes bien de ce monde destinées à faire passer de vie à trépas plus ou moins lentement, ainsi que les petites fioles. Quel poison réserverait-elle à la Neyrat lorsqu'elle n'en aurait plus besoin ? Dans quelques années… Elle l'ignorait encore. Il lui fallait tant apprendre jusque-là, se faire aimer afin de récupérer le nom et l'héritage de celle qu'elle allait s'employer à charmer au point de lui ôter le bon sens et la plus élémentaire prudence.
Lorsque Aude de Neyrat rentra le lendemain, la fureur le disputa en elle à l'incompréhension. Réjouie par le spectacle de la crise nerveuse de sa « mère », Angélique, tassée dans un fauteuil du petit salon de lecture, prétendit pleurnicher en se tordant les mains de chagrin.
– Enfin, c'est à y perdre son latin ! rugit à l'adresse de son mire madame de Neyrat que son élégant flegme abandonnait. À peine quatorze ans et une crise de convulsion l'emporte, dites-vous ?
– Certes, madame, répondit l'autre d'un ton docte. Savez-vous si elle y était sujette dans la jeune enfance ?
– Je l'ignore et m'en moque !
– Les violents spasmes qui ont agité mademoiselle d'Ongeval ont déclenché des saignements de viscères.
– Et pourquoi, diantre, avoir alors pratiqué une longue saignée, à ce que m'ont rapporté mademoiselle ma fille et les serviteurs présents ?
– Madame, s'offusqua l'autre. C'est ainsi que l'on procède en semblables circonstances.
Se voulant pédagogue, le mire expliqua :
– Il existe différents types de sang. Un sang noir et néfaste que l'on doit chasser par saignée et un sang pur et dynamique que l'on doit préserver. Les saignées permettent de se débarrasser de l'un au profit du second.
– Laissez-moi, monsieur. Je dois réfléchir.
– Et pour l'inhumation ? Nous vous attendions afin de recueillir vos ordres.
– Au plus rapide et au plus simple, j'ai déjà mon compte de tracas en tête, s'énerva Aude de Neyrat.
– Il faudrait avertir la proche parentèle de feu votre protégée et…
– Je vous sais gré de votre sollicitude, cependant, elle est superflue. Mathilde d'Ongeval était… orpheline, ce qui explique que je l'ai accueillie sous ma protection. Veillez aux préparatifs. Je dois réfléchir, vous dis-je.
Le mire sorti, elle laissa libre cours à son humeur dangereuse et explosa :
– Il aura fallu qu'elle me gâche la bile jusqu'au bout, celle-là !
À la vérité, l'affolement commençait de gagner madame de Neyrat. Mathilde trépassée, comment allait-elle s'acquitter de sa
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