Le combat des Reines
peut-être, un couple voulu
par le ciel, car Margaret de Clare ne se mêlait point des affaires de son
époux. Seuls des yeux expressifs rachetaient un visage blême et une bouche
figée dans un rictus de désapprobation. Adorant la douairière, elle l'imitait
en tout, surtout en ce qui concernait sa piété et sa passion notoire pour les
reliques et les pèlerinages. Je les prenais toutes deux pour de niaises dévotes,
mais j'étais à l'époque novice en matière de cœur et l'expérience est la plus
dure des maîtresses. Isabelle les surnommait en secret « la grande
Marguerite et la petite Margaret » ou encore « la sainte Marguerite
et la plus sainte encore ». Elle savait les imiter à la perfection dans
leurs expressions moralisatrices, leurs airs affligés et leur insipide
bavardage à propos de la sainteté d'un éclat de tibia.
Ce jour-là,
malgré son air innocent et ses yeux bleus interrogateurs, Isabelle les avait
taquinées au sujet des prétendues splendeurs de l'abbaye de Glastonbury, où
l'on disait avoir découvert, pendant le règne du feu roi, tout à la fois les
corps du roi Arthur et de la reine Guenièvre, Excalibur, l'épée magique, et le
Graal mystique du Christ. Les deux bigotes (et je l'écris tel que je voyais les
choses à cette époque) jacassaient comme des pies au sujet du voyage qu'elles
feraient à Glastonbury, un peu plus tard ce printemps-là, et se demandaient si
Sa Grâce les accompagnerait. Ma maîtresse, ainsi qu'elle m'en informa par la
suite, ravala sa réplique cinglante. À cause des barons, elle ne pouvait guère
quitter Westminster et, de plus, le Trésor de sa maison était vide : elle
n'avait tout simplement pas les fonds nécessaires au déplacement. Bien entendu,
comme toujours, elle se comporta avec décence. Elle me lança un clin d'œil et,
candide, voulut savoir si les revenus de l'abbaye avaient beaucoup augmenté
suite à ces découvertes miraculeuses. La reine douairière était sur le point de
se lancer dans une nouvelle homélie sur le rosier mystique de l'endroit, un
rameau dont elle affirmait qu'il provenait de la houlette de Joseph
d'Arimathie, quand Guido le Jongleur [5] intervint. Lui et Agnès d'Albret faisaient aussi partie de l'entourage de la
douairière et étaient en général là chaque fois que nous la retrouvions. Dès le
début je me défiai d'Agnès, une jeune femme qui venait juste d'avoir vingt ans.
Elle était grande et mince. Son abondante chevelure d'un roux flamboyant
encadrait un pâle visage pointu aux yeux verts obliques et à la bouche mutine
et malicieuse. Vêtue d'un bliaud de sarcenet fauve, ajusté et à col montant,
elle m'observa avec attention et à juste titre pendant tout le sermon de la
reine douairière. Elle était apparentée à la fois à l'abbé de Saint-Germain et
à Marigny, qui venaient d'arriver en Angleterre et avaient été logés ailleurs
dans l'enceinte de l'abbaye. Elle semblait plutôt bien disposée à mon égard,
même si elle n'ignorait sans doute rien de la profonde rancœur que je nourrissais
envers la Cour de France.
Guido le
Jongleur se conduisait autrement. C'était un apothicaire, un mire, qui
s'appelait en réalité Pierre Bernard, un Parisien qui avait paraît-il quitté la
France suite à un malheureux accident à la Sorbonne quand un maître avait été
poignardé dans une rixe de taverne. Guido avait cherché asile en Angleterre où,
ayant imploré avec succès la protection de la reine douairière contre les
juristes de son frère, il avait obtenu une place dans sa maisnie. Homme plein
de ressource, il était à la fois ménestrel et jongleur. Il était aussi habile
en physique et c'était un apothicaire versé en médecine. Je l'avais rencontré à
moult reprises depuis son arrivée dans le royaume après le couronnement
d'Isabelle. L'air sensible et doux, les cheveux noirs coupés court, il semblait
vif et gai. Ses longs doigts, blancs comme lis, me fascinaient. Guido se
targuait de pouvoir ressentir la douleur d'un patient en pressant simplement le
bout de ses doigts sur la chair. Je n'en croyais rien. Ce n'était pourtant ni
un songe-malice ni un simulateur. Il se raillait sans se cacher des
superstitions. Celle, par exemple, qui voulait que l'émeraude protège si bien
du poison que si un crapaud la contemplait, ses yeux éclataient. Il avouait
aussi tout bas que l'intérêt que portait la reine aux reliques et aux
pèlerinages solennels était fastidieux à l'extrême. Oui, c'est
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