Le combat des Reines
à voix basse en m'approchant de l'huis.
La jeune femme
haussa les épaules, fit la moue et me frôla en retournant dans le couloir.
J'ouïs un murmure de conversation. Alvena fit mine de revenir. On l'appela.
Elle pivota sur ses talons. Il y eut un nouvel aparté et elle réapparut dans la
lumière, les joues un peu empourprées, l'air plus circonspect.
— La mère
supérieure dit que nous pouvons aller au jardin.
Nous nous
installâmes sur un banc de pierre. Alvena commença par deviser sur les fleurs,
sur son envie de voir arriver l'été et sur le fait qu'il était fort agréable de
s'asseoir ici, surtout le soir pour contempler le coucher de soleil.
— Pain-bénit ?
Edmund Lascelles ? Il est venu hier soir, n'est-ce pas ? Il vous a
bien rendu visite ? m'enquis-je.
— Je ne
sais, répondit-elle, les yeux écarquillés par la surprise. Je ne sais si je
peux vous aider.
— Madame,
rétorquai-je en la regardant bien en face, vous pouvez nous répondre soit
céans, soit dans le corps de garde de Westminster. Nous savons qu'Edmund
Lascelles a dépêché Tournebroche pour décider d'une rencontre avec vous après
vêpres. Est-il venu ici ?
— Oui, oui,
en effet.
— Racontez-moi.
Et de grâce, madame, dites-moi la vérité, sinon c'est le corps de garde et un
interrogatoire plus brutal. Nous ne vous voulons point de mal, insistai-je en
sortant deux pièces d'argent de mon escarcelle. C'est pour vous. Je vous assure
que nous n'avons pas l'intention de vous nuire.
Alvena changea
d'attitude ; elle renonça à ses minauderies et son visage se fit plus dur.
Elle empocha les pièces et fixa la pelouse du regard comme fascinée par une
grive qui picorait la terre.
— Je suis
originaire du Poitou, déclara-t-elle. Je suis arrivée en Angleterre il y a
quatre ans. Maître Lascelles a fait ma connaissance à Cock Lane où j'étais
placée dans une pension. Il m'a proposé mieux : cette place aux bons soins
et sous la protection de la mère supérieure. Nos hôtes sont — comment
dire ? — triés sur le volet. Nous n'autorisons pas n'importe qui
à franchir cette porte. Edmund est gentil et courtois. C'est aussi un
merveilleux pâtissier. Il nous régalait souvent, tout comme nous le régalions.
Elle eut un
petit rire.
— Puis il a
dû retourner en France. Il revenait parfois à Londres. Il me rendait toujours
visite et m'apportait un cadeau. Hier soir il est passé mais, cette fois, sans
présent. Lui, d'habitude gai, enjoué, s'est montré taciturne et réservé. Il lui
a fallu un certain temps, quelques coupes de vin, de la musique douce, pour se
détendre. Je lui ai demandé ce qui n'allait pas. Il s'est contenté de hocher la
tête et de dire qu'il travaillait pour le roi et qu'il avait peur. Je dois
reconnaître, madame...
Elle me jeta un
coup d'œil perçant.
— ... qu'il
était si inquiet que j'ai moi-même commencé à prendre peur, surtout quand il a
prétendu avoir été suivi jusqu'à cette maison. « Par qui ? » ai-je
voulu savoir. Il n'a point répondu et nous sommes retournés à nos petits jeux.
Plus tard je l'ai pressé de questions : De quelle mission s'agissait-il ?
Pourquoi était-il si terrifié ? Il m'a confié qu'il était logé au Secret
de Salomon et qu'il repasserait cette nuit.
Elle me regarda.
— Il ne
viendra pas, n'est-ce pas ?
— Non,
madame, il ne viendra pas, car il ne le peut. Il semble avoir disparu.
Je lui narrai
rapidement ce que nous avions constaté à la taverne.
Alvena déglutit
avec peine.
— Ce ne
sont pas mes affaires, se défendit-elle en tentant de se lever.
Je la fis
rasseoir.
— A-t-il
dit quelque chose ? insistai-je. Quelques mots ?
Alvena contempla
ses douces mains blanches aux ongles taillés et vernis avec soin. D'une main,
elle repoussa sa collerette pour éponger la sueur, laissant échapper, dans ce
geste, une bouffée de délicieux parfum. Cette femme était affolée, ne sachant
si elle devait parler ou non.
— En quel
danger pourriez-vous donc vous trouver, madame ?
Elle éclata d'un
rire amer.
— En danger ?
Pas moi, en tout cas ! Edmund a fait une remarque étrange, murmura-t-elle.
Comme j'insistais pour qu'il me confie ses soucis, il a déclaré qu'un grand
péril rôdait à Westminster. Que le vieux Jean était peut-être fou comme lièvre
de mars, mais qu'il connaissait le fin mot de l'histoire et chantait la bonne
chanson. Je lui ai demandé ce que cela signifiait. Mais il était alors
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