Le combat des Reines
Une bande de garçons et leurs chiens, cherchant
à lever un lièvre, surgirent. Les cris et les aboiements résonnaient à nos
oreilles alors que nous pénétrions dans le bois silencieux où nous
accueillirent d'étranges odeurs de cuisine. Un groupe de bohémiens, abrités
sous les arbres, s'affairaient à cuire dans des cendres chaudes de petits
oiseaux, un hérisson et un écureuil dépouillés qu'une femme à la peau mate nous
offrit pour un penny la part. L'odeur était infecte. Je lui donnai une pièce
mais refusai la nourriture en me pinçant le nez, tandis que Demontaigu se
moquait de moi en m'expliquant qu'il avait mangé ce genre de mets quand il
combattait en France. La femme, une décriée paillarde, semblait-il, nous
emboîta le pas en vociférant dans une langue que je ne comprenais pas. Un
homme, muni d'un gourdin, sortit du bois et s'approcha de nous, menaçant, comme
si nous avions insulté la ribaude. Bertrand tira à moitié son épée et les deux
complices décampèrent sans demander leur reste. Les arbres finirent par
s'éclaircir. La sente bifurquait sur une allée menant à un mur de briques
rouges dans lequel s'ouvrait un beau portail peint en bleu qui
s'enorgueillissait d'une croix noire placée bien haut au-dessus du judas.
Demontaigu me réclama les sceaux d'Isabelle et de Gaveston et tira avec énergie
sur la chaîne qui pendait à la niche de la cloche. Le judas s'ouvrit. Il
brandit les sceaux.
— Au nom du
roi ! cria-t-il aussi fort qu'un héraut.
La porte fut
déverrouillée. Demontaigu me fit signe d'avancer quand l'huis fut déclos. Une
jeune femme, vêtue, comme une novice, en noir des pieds à la tête, une guimpe
ivoire encadrant son joli visage, nous invita d'un geste à entrer. Je notai que
sa collerette et ses manchettes blanches faisaient un contraste marqué avec ses
habits noirs ; j'aperçus aussi ses ongles écarlates et les souliers
pointus rouge vif qui dépassaient sous son bliaud noir. Elle nous adressa un
gracieux sourire, esquissa une révérence et nous conduisit le long de l'allée
bien entretenue. C'est seulement alors que je distinguai deux hommes au nez camus
et à l'air agressif qui se dissimulaient derrière le portail, qu'ils
refermèrent.
L'allée
s'abritait sous une tonnelle fleurie dont les plantes s'étrécissaient au sommet ;
de chaque côté, sur les pelouses, dans les carrés de simples et les plates-bandes
de fleurs, les premiers boutons apparaissaient sous le soleil printanier. Au
bout de la voie, un escalier montait vers une porte noire cloutée de fer,
percée de grilles et de judas, comme celle d'un couvent. Notre guide tira la
cloche de cuivre bien astiquée. Quand on eut ouvert, elle nous introduisit dans
une pièce plutôt austère meublée de tabourets capitonnés, de bancs et de
tables. Les murs, d'un blanc étincelant, étaient ornés de peintures sur tissu
tendues sur un cadre de bois fixé au plâtre. Chacune dépeignait une jeune femme
vaquant aux soins du ménage. Demontaigu en examina un, eut un large sourire
puis s'assit sur le banc près de moi. La Novice, comme je l'appelai in petto ,
nous souriait, l'air sage et modeste. Elle s'éloigna de la porte au moment où
une femme plus âgée, le visage dur, habillée de la même façon qu'elle, faisait
son entrée. Elle me lança un coup d'œil étonné puis haussa les épaules et, se
tournant vers Demontaigu, exigea, dans un rapide anglo-normand, d'examiner les
sceaux. Ce qu'elle fit avec grand soin avant de ressortir en ordonnant d'un
geste à la Novice de la suivre.
— In hoc
loco muri oculos auresque habent — céans les murs ont des yeux et
des oreilles, me murmura Bertrand, ses lèvres effleurant presque mon oreille.
Il se leva,
tapota un des tableaux et se tint près de moi.
— Alvena
est ici, chuchota-t-il.
Quelques
instants plus tard on frappa à la porte et une jouvencelle entra. Elle portait
les mêmes vêtements que la Novice, mais sa tunique était vert foncé et sa
guimpe rouge sang. Elle avait une peau blanche comme neige, des sourcils d'un
noir de jais, un air espiègle, des yeux rieurs, un nez retroussé et des lèvres
pleines. Elle nous offrit du farci lombard et des dattes dans du vin épicé, que
nous refusâmes.
— Que
puis-je donc faire pour vous ? s'enquit-elle avec malice. Il est tôt.
Nous, les sœurs, nous reposons en général et ne prenons notre service qu'après
vêpres.
Elle me jeta un
regard interrogateur.
— Pas ici,
indiquai-je
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