Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
même le savoir, elle comme les autres - sinon, pourquoi aurait-elle passé toute une nuit avec un vieil homme dont le corps lui faisait horreur, mais si, si, dont elle craignait la présence, la contagion, qui n'avait à lui offrir que le souvenir du désir, mais qui pouvait peut-être, si elle le souhaitait, livrer la formule permettant de soulever la dalle?
    Attention, il le lui avait dit, il fallait qu'elle se montrât prudente : mais elle ne l'était déjà plus puisqu'elle avait accepté de rester avec lui toute une nuit dans une chambre, qu'elle avait supporté son regard, admis qu'il la désirât du bout des yeux. C'était déjà beaucoup, mais peut-être pas assez, non?
    Joan ne put éviter qu'avec une vivacité qu'elle ne soupçonnait pas, il en vînt de ses doigts osseux à lui toucher les seins.
    Elle fut affolée de ressentir, mêlée à de la honte - comme si elle s'était offerte, vendue -, une émotion inconnue, l'intuition qu'il existait des jouissances âcres, brûlantes, détestables, où elle avait soudain envie de se vautrer jusqu'à s'y noyer.
    Elle n'avait pas bougé.

    20.
    Au milieu du déjeuner, Leiburg avait cessé d'écouter Lavignat et Brigitte Georges. Il s'était mis à caresser la nappe du bout des doigts de sa main droite et, les yeux mi-clos, s'était souvenu de la soie blanche du chemisier de Joan, froide d'abord, puis, quand il avait appuyé, attiédie par la chaleur du sein, et il avait alors imaginé la peau, le corps de la jeune femme qui l'avait laissé faire, quelques secondes à peine, mais cela avait suffi pour qu'il devinât son trouble, et il avait alors pu croire qu'il n'était plus un vieil homme.
    Ce n'avait été qu'un bref éclat de vigueur, une illusion d'énergie juvénile que Joan, en se reprenant, en le repoussant, avait dissipés. Elle avait quitté la chambre de l'Hôtel Crillon sans dire un mot.
    Il s'était allongé, les mains jointes comme un gisant, essayant de dormir tout en sachant qu'il n'y parviendrait pas; il ne connaissait plus que des états intermédiaires entre la veille et le sommeil. Ses rêves mêmes n'étaient plus que le souvenir de scènes qu'il avait vécues autrefois, sans qu'il pût les situer: 1990, 1980, voire 1970, ou bien plus loin, vers les années 40, quand il s'était assis ici, dans cette salle du Maxim's où il déjeunait aujourd'hui en compagnie de Lavignat et de Brigitte Georges.
    Il avait été là en uniforme, victorieux, vigoureux, commandant du champagne dans le brouhaha des voix que l'orchestre ne parvenait pas à couvrir. Une femme se tenait près de lui et il avait posé sa main sur son sein sans se soucier du sommelier. Il était le maître. Il avait resserré les doigts sur ce sein et la femme s'était abandonnée, se collant à lui.
    Une autre fois - peut-être était-ce seulement quelques mois auparavant -, il se trouvait sur la terrasse de la Villa Bardi et une jeune femme qu'il avait aperçue à plusieurs reprises se promenant dans le parc s'était avancée, les seins nus.
    Orlando, le régisseur, la suivait à quelques pas.
    Elle marchait lentement, ses cheveux blond cendré dénoués tombant sur ses épaules, et Morandi lui avait fait un signe.
    Elle s'était approchée. Distraitement, Morandi avait posé ses deux mains sur ses seins. Elle n'avait pas bougé, paraissant ne se rendre compte de rien, cependant qu'Orlando attendait, jambes écartées, les doigts passés dans sa ceinture, le front plissé. Morandi s'était alors tourné vers Leiburg : - Du marbre, avait-il dit, insensible mais belle, n'est-ce pas? Un modèle superbe, qu'en pensez-vous, Franz?
    Puis il l'avait repoussée, lui donnant de la main gauche une petite tape sur la cuisse, et elle s'était éloignée, suivie d'Orlando.
    Celui-là, Leiburg le haïssait. Il avait les muscles d'un chasseur, le regard d'un tueur, le front étroit d'un animal obstiné. Il ressemblait à ces tireurs d'élite qui, au repos, nettoient méticuleusement la lunette de leur fusil, ou bien à ces hommes des sections spéciales quand ils graissaient leur revolver ou affûtaient leur baïonnette. Leiburg les avait observés avant les opérations de ratissage dans les marais du Pripet ou en Yougoslavie, plus tard, durant l'hiver 1944, dans ce parc de la Villa Bardi, quand ils s'apprêtaient à donner la chasse aux banditi. Orlando était de leur race.
    Un jour, rentrant à la Villa Bardi, Morandi avait dit en désignant cet homme: « Voilà Orlando, c'est mon chien de garde.

Weitere Kostenlose Bücher