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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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n'était autre qu'Orlando.
    Elle s'était précipitée vers l'arrêt d'autobus, bousculant les gens afin de monter la première, se faufilant pour atteindre le centre du véhicule, cherchant malgré la buée à voir si une voiture noire s'était arrêtée : et, en effet, entre l'avenue Gabriel et les Champs-Élysées, elle avait cru l'apercevoir qui démarrait lentement, comme pour s'apprêter à suivre le bus.
    L'espace d'un instant, elle avait cédé à l'affolement, cherchant autour d'elle parmi les passagers celui qui pourrait l'aider, puis, à contempler ces visages gris, fermés - une femme tricotait, des hommes lisaient, un couple de jeunes se tenaient aux épaules, bras mêlés, yeux clos, se laissant balancer par le roulis du bus -, elle avait éprouvé un sentiment de solitude. Elle était exilée, étrangère. Elle aurait dû rester chez elle, elle avait eu tort, c'était même folie que de quitter son pays, sa langue, c'était comme si elle avait voulu changer de sexe, elle s'était condamnée à jouer toute sa vie un rôle, elle n'était plus chez elle nulle part, et c'est pour cela qu'elle était attirée par Morandi, par la pourriture, pour cela que Franz Leiburg la fascinait, mais, en même temps, elle ne connaissait aucune des règles du jeu, la France, l'Italie, l'Europe étaient des régimes étranges, et elle s'était souvenue des rires de complaisance de Lavignat et de Hassner durant le déjeuner, du visage de Giorgio Balasso qui exprimait la veulerie et le remords. Que pouvait-elle, elle qui venait d'ailleurs?
    Elle était descendue du bus place du Panthéon. La nuit était tombée, des lueurs jaunes éclairaient aussi cet autre lac de pierre. Qui se serait soucié d'elle si une voiture l'avait renversée?
    Elle avait hésité à traverser la place, à descendre vers Maubert, puis elle avait marché au milieu de la chaussée, ne laissant le passage aux voitures que lorsqu'elles klaxonnaient. Qu'on l'écrase! Elle était si indécise, si incertaine de ce qu'elle était, qu'elle acceptait maintenant avec fatalisme qu'on vînt la tuer. Peut-être Morandi l'avait-il décidé, peut-être Ariane avait-elle éprouvé ces mêmes sentiments contradictoires : n'être plus rien, vouloir vivre, cependant, aller jusqu'au bout et ne pas savoir pourquoi, ne plus savoir avec qui.
    Chez elle, Joan s'était sentie si seule qu'elle avait appelé Jean-Luc, le regrettant dès qu'elle avait entendu sa voix. Il voulait la voir, insistait-il. Lui parler. Qu'elle l'écoute, au moins. Il la suppliait.
    En était-il donc toujours ainsi : vouloir se faire entendre et n'être jamais écoutée parce que l'autre veut se confier, qu'il tend les mains sans se soucier de celles qui se tendent vers lui? Marché de dupes...
    Au moins Morandi, Leiburg n'étaient pas hommes à appeler au secours. Ils prenaient. Ils exigeaient.
    - Venez, venez, Joan, répétait Jean-Luc.
    Elle avait éloigné le téléphone de son oreille et n'avait cependant pas osé raccrocher, peu à peu émue par cette lamentation, ce récit qu'il avait entrepris de lui faire.
    Lui avait-il raconté comment il avait chassé Ariane de chez lui, de chez elle, peut-être par jalousie, par égoïsme, saisi de panique, poussé par Joëlle?
    Il fallait que Joan sache qui il était : un type mesquin, un mauvais père.
    Il rentrait d'un long week-end en compagnie de Joëlle. La concierge les guettait dans l'entrée de l'immeuble de la rue de Sèvres. Vous vous rendez compte, avait-elle dit, leur fille Ariane avait reçu deux garçons, l'un, un Noir, était resté, il devait être encore là-haut, elle avait tenu à avertir Monsieur Duguet et Madame; elle les plaignait : est-ce qu'on aurait jamais cru ça possible, une petite fille comme Ariane? Et voilà que de nos jours des choses comme ça arrivaient.
    Dans l'ascenseur, Joëlle n'avait cessé de parler vol, viol, sida, drogue, Ariane était irresponsable, comme sa mère, Jean-Luc savait ce qu'il avait subi avec Clémence, allait-il accepter encore? Il fallait qu'il réagisse.
    Jean-Luc bredouillait au téléphone, il voulait savoir si Joan l'écoutait toujours.
    Elle l'écoutait.
    Elle avait vécu des scènes semblables chez elle : le père qui surgissait, qui n'admettait pas n'importe quelle fréquentation, qui menaçait.
    Et Jean-Luc avait hurlé, interrompant Ariane qui tentait d'expliquer qu'elle avait accueilli cet ami pour quelques jours, le temps qu'il trouve un logement.
    - Je m'en fous, je m'en fous! Dehors,

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