Le Conseil des Troubles
soldats et officiers de l'armée royale s'écartaient.
Tous les cavaliers de l'étrange escadron, y compris celui qui commandait, portaient en haut du bras droit un brassard jaune où se voyaient, de couleur rouge, un sabre et une hache croisés.
Le roi, stupéfait, se tourna vers ses maréchaux :
— Mais quelle est donc cette troupe étrange ?
Un flottement se produisit chez les officiers supérieurs, les maréchaux se tournant vers les généraux et ceux-ci vers les colonels mais fort heureusement, on dégotta un vieux général de cavalerie qu'on poussa vers le roi impatient :
— Eh bien, qui sont-ils ?
Le vieil homme, impressionné ou peut-être gêné, répondit :
— Ce sont là ceux des... des « Opérations Spéciales », Majesté.
— Opérations Spéciales?... Mais qui sont-ils?... Quel est leur chef?... Pourquoi ce brassard?... Allons, répondez!
L'autre hésita un instant puis :
— C'est qu'on les voit rarement, Sire, ils se déplacent surtout la nuit... Qui sont-ils?... Il y a là un peu de tout, pas toujours recommandables : anciens faux-sauniers, anciens braconniers, derniers-nés de familles de petite noblesse d'épée qui ne peuvent rien espérer d'un héritage, officiers rebelles et peut-être aussi... bien pis encore! Ils accomplissent des opérations... Comment dirais-je à Votre Majesté?
— Dites le simplement!... répondit Louis XIV d'un ton adouci car il lui venait une vive curiosité.
— C'est une idée de leur chef : ils s'introduisent derrière les lignes ennemies! Lorsque c'est fait, ils font sauter les dépôts, les barrages de retenue des eaux, incendient les vivres, comblent les puits, inversent les bornes, font exploser les convois de munitions, prennent les villes par surprise pendant quelques heures pour y détruire ce qui est essentiel avant de se retirer en se fondant dans la nuit. Ils peuvent tuer avec une pelle, un tabouret, n'importe quel objet et bien sûr à mains nues. Ils se distinguent par ce brassard car ils osent parfois combattre en civil ou sous uniforme ennemi. Ils ne vivent qu'entre eux et ne paraissent pas, ou très rarement, au régiment de dragons dont ils dépendent. L'armée les craint, ne ménage pas les critiques quant à leurs manières de faire la guerre mais lorsque les choses tournent mal et qu'ils paraissent entre chien et loup, chacun en est soulagé.
— Qui les commande ?
— Le duc de...
Derrière la vitre, contemplant sans la voir la pluie glacée, le roi émit un claquement de langue agacé : quel était le nom que lui avait dit le vieux général?... Un nom jadis associé à un très haut fait, d'où ce titre de duc, mais quel était-il?...
À Namur, il s'était étonné, presque scandalisé :
— Quoi, un duc?... Et il est lieutenant-colonel, officier en second ne commandant pas même le régiment ?
Le vieux général était loin de tout savoir :
— Le régiment appartient au comte Léopold Rossel de Villers et c'est son père qui le lui a acheté. Le duc, lui, appartient à une famille pauvre et a conquis ses épaulettes au fil de l'épée. C'est d'ailleurs lui qui commande en réalité ce régiment, nul ne l'ignore.
Louis le Quatorzième s'emporta :
— Mais enfin, il est duc, ce n'est pas rien, cela 4 !
Le vieux général précisa :
— C'est vous, Majesté, qui avez remis son brevet de colonel au comte Rossel de Villers.
— Mais je ne connaissais point la situation !
— Elle est telle que je vous la dis, Sire, le duc est trop pauvre pour s'acheter un régiment. En outre, il est assez... indépendant. Il refuse les dragonnades 5 .
Louis XIV en fut stupéfait :
— Il... Il refuse?
— Sire, il prétend être militaire et non qualifié pour les tâches de police.
Le roi allait de surprise en surprise :
— Et comment fut-il puni ?
Le général baissa les yeux et la voix :
— Il ne le fut pas, Sire, on a trop besoin de lui.
Contre toute attente, le souverain sourit et bascula d'un certain côté :
— Et l'on a bien fait, pour une fois !
Le roi se sentit soulevé d'enthousiasme en apprenant tout cela, et qu'il possédait pareils soldats. Qui le pouvait faire prisonnier quand existait semblable troupe?... Il veillerait, dorénavant, à toujours savoir où elle se trouvait. En cas de besoin. Et à ne rien ignorer de cet étonnant duc qui végétait au grade de lieutenant-colonel. Puis il fut occupé à d'autres tâches, et oublia.
S'écartant de la vitre, il se jura de se renseigner au plus tôt.
Il se
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