Le Conseil des Troubles
solides.
À aucun instant il ne vint au comte l'idée qu'il pourrait ne point sortir victorieux du duel qu'il entendait provoquer...
*
« C'est trop grand dommage que de s'en retourner ainsi, tête basse, vers Auteuil », songea Bamberg.
Le théâtre fermé, c'était peut-être l'occasion de prendre l'initiative, ne serait-ce que pour remercier la baronne de sa gentillesse et de son hospitalité et profiter ainsi de sa présence magique.
Mais comment faire? Où aller? Il connaissait si peu Paris.
Brusquement, un souvenir lui revint en mémoire et, presque aussitôt :
— Madame, sauriez-vous nous guider vers cette église dite de Saint-Eustache car je ne sais trop, d'ici, le chemin qui y mène.
Amusée et surprise, elle répondit par une autre question :
— Quoi, vous voulez prier, à cette heure ?
Il sourit :
— Certes non. Mais si vous en êtes d'accord... Ah, comment vous dire cela ? Cette ville de Paris perdue comme un bateau dans la brume, cette nuit qui ne ressemble pas aux autres nuits, notre étrange rencontre et quoi, je vous remercierais chez vous, étant votre obligé, sans rien tenter pour vous montrer ma reconnaissance ?
Sa curiosité éveillée, elle demanda :
— Mais à quoi songez-vous donc ?
— Pourquoi pas un souper? Il est à Saint-Eustache une auberge de chez nous, du Maine, du moins me l'a-t-on assuré.
Elle réfléchit un temps suffisant pour satisfaire aux convenances puis :
— Pourquoi pas?
*
L'homme, prénommé Florian, était âgé de cinquante-huit ans. Il avait été sergent au Maine-Dragons et de là, aux Opérations Spéciales. Un brave décoré et six fois blessé dont la dernière, au poumon, trois jours après l'Ascension de 1687. Cette fois encore, on parvint à sortir la balle mais rien ne rendit son souffle à Florian. Tout y était, la force, la précision, le coup d'oeil, l'instinct mais le souffle venait vite à manquer. Alors, les yeux agrandis, les joues creusées, la bouche mi-ouverte, le sergent cherchait l'air avec l'impression que sa poitrine allait exploser.
Aussi, étant homme de sincérité, avait-il hoché la tête avec gravité lorsque le lieutenant-colonel de Montigny-Bamberg lui avait fraternellement expliqué qu'il devrait envisager de laisser sa place à une jeune recrue.
Mais cette mauvaise nouvelle fut aussitôt tempérée par l'offre de son chef qui disposait d'une vieille bâtisse sur les hauteurs de Montigny, ajoutant qu'il la lui offrait avec joie, le sergent lui ayant sauvé la vie quelques années plus tôt.
La vie fut alors comme un rêve. Au village, il fut aidé de tous côtés dans la remise en état de la fermette puis il connut Françoise, plus jeune que lui de quelques années et encore bien jolie, qu'il épousa.
Par cette nouvelle existence, il rejoignait d'autres dragons de Montigny qui avaient trouvé ici une vie digne et heureuse quand tant d'anciens soldats, vieux ou amputés, mendiaient en la puanteur des villes.
Bamberg qui, comme on sait, avait monté une milice populaire, trouva en Florian un homme patient. Bientôt, avec pareil instructeur, on atteignit un niveau exceptionnel et lorsque sa femme s'émerveillait de cette façon de transformer des paysans en soldats, Florian aimait répéter une histoire de son enfance :
— J'ai connu un loup qui n'avait plus que trois pattes. Les autres loups lui firent sans doute entendre que sa place n'était plus parmi eux. Alors il alla vivre avec des chiens et leur communiqua sa science.
— C'est une histoire vraie ? avait demandé Françoise, la première fois qu'elle l'entendit.
— C'est une histoire de ce qui fut jadis chez moi, en Lorraine, et j'ai de mes yeux vu ce loup à trois pattes qui un jour, avec les chiens, partit vers l'est et les grandes forêts.
La soirée de Florian avait été agréable, surpassant de très loin ce à quoi il rêvait autrefois, aux bivouacs.
On avait soupé simplement mais avec délice : soupe au lard, omelette aux champignons et aux herbes, fromage de brebis et cerises confites bien conservées en ces mois d'hiver. Et un pain très cuit, à la croûte noire ainsi qu'il en raffolait.
Puis, ils avaient fait l'amour avec douceur et avec, parfois, chez Florian, de courts instants de violence qu'on dit naturelle chez les hommes qui si longtemps ont vécu avec la mort et trouvent en un corps de femme l'expression même de la vie.
Pourtant, il venait de se relever et, par le carreau, rideau écarté, il regardait le vent d'une rare
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