Le Conseil des Troubles
massacrer. Un soir comme celui-ci, par exemple, bien qu'il se trouvât une lanterne toutes les quatre maisons, ces lumières rendues vagues par le brouillard n'offraient plus aucune protection. Ce soir, s'il le voulait, le peuple pouvait prendre la ville et piller les arsenaux tandis que les archers demeureraient cloîtrés en leurs postes.
Il imagina le pire, les rassemblements auprès des fontaines publiques, ou au jardin des plantes, près du marché aux chevaux de Maubert, au Cloître Notre-Dame, sur la place de Grève...
On aurait tôt fait, pour grossir l'émeute, de forcer les portes des douze prisons de Paris afin de s'appuyer sur les troupes expertes de la canaille, des voleurs, des assassins et des maquereaux. On irait même chercher des volontaires en les vingt-six hôpitaux de la ville et l'on verrait alors de tout, des vieillards haineux et des enfants sauvages.
Il porta la main à son front, le militaire prenant le pas sur l'amoureux. Ah, les choses iraient vite. On se jetterait sur le quartier Notre-Dame, où logent bijoutiers et orfèvres. Puis sur le quartier du Palais-Royal habité par les financiers et les très riches marchands. Par vengeance, on ruinerait le quartier du Temple où vivent magistrats et bourgeois afin de leur faire mauvais parti. Et enfin, on garderait pour le final le quartier Saint-Germain, le plus coûteux de Paris avec ses palais et hôtels particuliers appartenant à la haute noblesse.
Et demain, après un bain de sang et une journée de pillage, le peuple se promènerait aux Champs-Élysées tandis que des militaires ivres jetteraient à bas les écriteaux disposés à l'entrée de tous les jardins publics : « Ni chiens, ni filles, ni laquais, ni soldats »
Fugitivement, le comte de Lagès-Montry regretta de se trouver en uniforme...
*
Affirmant, par son métier des armes, pouvoir se déplacer sans être entendu, Bamberg était sorti à trois reprises, constatant avec dépit qu'un des hommes lancés à ses trousses montait la garde à proximité de l'entrée du village.
Certes, il eût été facile d'occire cet adversaire mais sa mort eût risqué de démontrer que demeuré à Auteuil, Bamberg y avait trouvé refuge ce qui pouvait mener à celle qui l'avait hébergé.
Revenu chaque fois, il prenait grand plaisir à renouer la conversation très exactement à l'endroit où il l'avait laissée avant de partir en reconnaissance.
À la vérité, ce fut presque exclusivement elle qui parla mais cela tenait au fait que Bamberg possédait un don assez rare : savoir écouter. Parfois, il relançait d'une question si judicieuse que la jeune femme reprenait ses explications avec plaisir. Ainsi, il fut question de théâtre et Bamberg avoua n'y rien entendre. Elle parla de sa mère, des oeuvres « volées » puis, avec tendresse, de ce père officier subalterne et peu chanceux qui se mit en tête, pour donner carrière à son ambition tandis que l'âge le pressait, d'être volontaire pour des missions de plus en plus dangereuses, la dernière lui étant fatale.
L'art, la musique, la littérature, la jeune femme possédait une vaste érudition et le duc, qui ne cherchait point à se mettre en compétition ni n'éprouvait la moindre jalousie, écoutait avec une soif d'apprendre qui ravissait la jeune femme car il est toujours des plus agréable de faire partager ses goûts. Ceux-ci, au reste, étaient des plus tranchés. Ainsi, concernant les écrivains, elle se plaisait à rappeler que pareil métier ne s'honore que par le courage et l'insolence, et de citer les noms d'auteurs ayant connu la prison. Tout au contraire, si elle ne leur déniait point du talent, elle éprouvait une instinctive détestation de ceux qui avaient vendu ce qui leur tenait lieu d'âme au pouvoir et de citer Bossuet, Molière, La Bruyère sans oublier Racine et Boileau, ces deux derniers auteurs d'odes très obséquieuses à Louis le Quatorzième.
Cependant, dès qu'on en arriva aux auteurs grecs et latins, la jeune femme nota sans déplaisir la tranquille mais écrasante supériorité du duc d'où elle conclut que s'il ne connaissait point les auteurs du temps, il possédait une vaste culture classique.
Les heures filèrent ainsi très rapidement et lorsque après sa quatrième sortie, Bamberg annonça que la voie se trouvait enfin libre, Marion réalisa qu'elle ne savait à peu près rien du duc. Elle s'adressa intérieurement les plus vifs reproches mais, sans chercher le moins du monde à se
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