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Le Conseil des Troubles

Le Conseil des Troubles

Titel: Le Conseil des Troubles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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un geste impatient :
    — Eh bien, es-tu devenu muet ?
    — C'est que j'ai couru une longue distance, monsieur le comte, et me trouve en difficulté de reprendre un bon souffle... Pour la baronne, il n'est point de doute, je la vois chaque soir au théâtre où mon père est acteur. Pour l'officier des dragons, je ne l'ai jamais vu, ne le connais point et ne saurais vous dire son nom, comme je ne sais pourquoi il transporte un chien dans un sac... Enfin, ils sont tous deux à cheval, à même hauteur, et semblent deviser.
    L'air hébété, Lagès-Montry écoutait tout cela comme si son cerveau, demi-gelé, nécessitait un temps anormalement long pour admettre la réalité.
    Désireux de se faire valoir, le jeune homme ajouta :
    — Monsieur le comte, à l'abri d'un de ces piliers vous pourriez voir par vous-même avec l'avantage de ne point être vu...

    Il fallut une dizaine de secondes au comte pour se pénétrer de ces paroles, puis :
    — Tu as raison, faisons ainsi que tu conseilles.
    Ils gagnèrent aussitôt leur cachette peu éloignée de la petite entrée du théâtre. L'attente ne fut pas longue car le couple apparut presque aussitôt, mettant pied à terre.
    Lagès-Montry remarqua d'abord l'uniforme de dragon. En raison du brouillard, il voyait mal mais suffisamment cependant pour reconnaître un grade très élevé, celui d'un officier supérieur.
    Là-bas, la grille était mise et, après avoir marqué une légère surprise, la baronne fit teinter la petite cloche située à l'entrée.
    L'attente sembla assez longue et le comte vit enfin apparaître le concierge, un vieil homme qui avait nom L'Herbois.
    Mais Lagès-Montry observa autre chose encore.
    Quels que fussent ses défauts, et ainsi de la corruption de son âme due aux constants désordres de son coeur, le mousquetaire était un soldat de talent, aussi remarqua-t-il la façon du dragon : celui-ci, très discrètement, pivotant sur lui-même, observait sur 360 degrés ce qui l'entourait. Comme tout excellent militaire en campagne dans une région peu sûre. Impressionné, le comte se rencogna en murmurant :
    — Il s'est senti observé ! Redoutable, c'est un loup !
    Le regard morne, il vit l'officier de dragons réunir ses mains, paumes en l'air, et la baronne se servir de cet étrier de circonstances pour se mettre en selle.
    Puis, ce fut au tour du dragon de se mettre à cheval, ce qu'il fit à la perfection, chose qui n'échappa pas au mousquetaire :
    — Par Satan, il est né à cheval...
    Puis le couple disparut lentement, comme happé par le brouillard.
    Assez abattu, le mousquetaire tendit quelques pièces d'or au jeune homme sans même écouter ses remerciements puis, tête basse, il gagna seul son carrosse.
    Quel cuisant échec !
    Ah, c'était bien la vie, cela : tout Paris se bat pour une actrice — différente presque chaque année -, il l'emporte haut la main devant des princes du sang et des géants de la finance. Mais lorsqu'il s'agit d'une baronne déchue, de très petite noblesse, obligée pour survivre de gagner sa vie, chose horriblement vulgaire, oui, quand il s'agit d'une femme qui devrait se jeter à ses pieds, éperdue de reconnaissance d'avoir été remarquée et choisie pour distraire au lit le comte de Lagès-Montry, voilà qu'on fait des façons, d'horripilantes petites manières, et qu'on finit par lui préférer un dragon !
    Le cocher guidait la voiture au pas, prudemment, ayant reçu l'ordre de mener le comte chez l'une de ses maîtresses, rue Saint-Avoye.
    Affalé sur la banquette, de Lagès-Montry se redressa soudain :
    — Je le tuerai!
    Une bouffée de joie le submergea à l'idée de faire d'une pierre deux coups. Hé oui, se dit-il, qu'on y pense : tuant ce dragon, je me débarrasse d'un rival, et d'un! Mais cet homme, dont l'instinct de loup prévient lorsqu'on l'observe, cet homme si excellent cavalier, doit aussi savoir tenir une épée. Sans doute jouit-il d'une certaine réputation en le métier des armes. Un adversaire à sa hauteur. Le cherchant à Versailles, l'y faisant venir si nécessaire, il saurait bien le provoquer en duel et le tuer. Ainsi serait établie sa réputation, et il ne devait plus rien à la fortune de son père : et de deux !
    — Chère petite Marion, veuve avant que d'être épouse ! lança-t-il, amusé, en le silence de la voiture.
    Ah, quelle chance qu'il eût parlé de la jeune femme à certains officiers car ainsi sa bonne foi était manifeste et le prétexte paraissait des plus

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