Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
Vom Netzwerk:
pour
annoncer à ses filles qu’elles étaient tantes, ce qui fit rire Rolande qui
n’avait pas encore neuf ans. Elle alla ensuite au presbytère répéter la même
nouvelle au curé Grenier. Elle jubilait. Cette nouvelle sorte de maternité la
réconciliait avec toutes les décisions qu’elle avait dû prendre durant sa vie.
    – Vous vous rendez compte, monsieur le
curé ? J’ai le sentiment de renaître. Moi, grand-mère, à quarante-sept
ans ! Je connais des femmes qui ont encore des enfants à cet âge-là.
    – Ma foi, Émilie, vous venez de découvrir
le secret de l’éternité.
    – Oh ! non. J’ai découvert ça quand
mes beaux-parents vivaient encore. Vous vous souvenez, quand ils ont enterré
leur petite Marie-Anne…
    – Oui, je me souviens.
    Émilie cessa de sourire, le temps de mettre de
l’ordre dans ses idées. Elle regarda le curé, qui était aussi pensif qu’elle.
    – Est-ce que quelque chose vous tracasse,
monsieur le curé ?
    – Rien de spécial. Toujours les mêmes
choses qui me poursuivent depuis que je suis haut comme trois pommes. Au fait,
Émilie, j’ai reçu une lettre de Napoléon Frigon. J’ai rarement lu autant de souffrance.
    Émilie plissa les lèvres. Pourquoi, par cette
belle journée gorgée de soleil et de vie, venait-il gonfler un nuage ?
    – Je voudrais pas être impolie, mais vous
devriez parler de ça à Blanche au lieu de m’en parler à moi.
    – Je vous en parle à vous parce que je ne
saurais quoi lui dire. Vous savez, Émilie…
    Il ne termina pas sa phrase, chassant devant
son visage une idée inexprimée qui ne semblait pas avoir plus d’importance
qu’une mouche invisible. Émilie sentit qu’il avait été à trois cheveux d’avouer
quelque chose. Depuis le temps qu’ils se connaissaient, ils pouvaient
difficilement se cacher une émotion.
    – Qu’est-ce que je devrais savoir,
monsieur le curé ?
    Le curé leva les yeux et lui sourit.
    – L’âge me ramollit, Émilie.
    Il soupira avant d’enchaîner :
    – Vous savez, je ne suis pas né prêtre.
Votre excitation d’aujourd’hui m’abat un peu. Qui me survivra, moi ?
    Il inspira profondément avant de
continuer :
    – Derrière la majorité des prêtres se
cachent des Napoléon Frigon.
    Émilie grimaça. Maintenant, la naissance de sa
petite-fille venait de passer au second plan. Elle n’avait jamais pensé que le
curé Grenier avait pu être jeune et beau. Elle n’avait jamais même imaginé
qu’il avait eu des frères et des sœurs, une vie à lui, une vie ressemblant à
celle de tout le monde. Qu’il avait fréquenté une petite école avant d’aller au
séminaire. Qu’il avait étudié, le soir, à la lueur des lampes. Non. Elle
n’avait vu qu’un homme en soutane élimée. Presque un père, avait-elle déjà pensé.
Aujourd’hui, elle voyait un homme usé, inquiet. Puis elle repensa à la dernière
phrase qu’il lui avait dite.
    – Est-ce que vous voulez dire que
Napoléon a décidé de devenir prêtre ou est-ce que vous me dites que la majorité
des prêtres ont eu des peines d’amour ?
    – Oui, pour la première question.
Dites-le à Blanche. Pour la deuxième, oui et non. Des chagrins d’amour pour
certains. Des décisions d’amour pour d’autres. Mais avant la prêtrise, Émilie,
avant que nous portions la soutane, nous avons porté le pantalon et nous avons
dansé et fait les foins et les sucres, et nous n’étions pas des ermites…
    Il se tut et fixa le vide de l’espace. Émilie
s’approcha de lui.
    – Pour répondre à votre question à vous,
monsieur le curé, craignez rien. Les gens vont oublier les histoires d’amour
d’Émilie pis d’Ovila Pronovost, mais je serais bien étonnée qu’ils oublient
aussi facilement ce que vous avez fait pis continuez de faire. Vous êtes
quasiment un monument ici, à Saint-Tite. Vous avez baptisé tout le monde qui a
moins de trente ans. Pis vous avez apporté les clefs du ciel à combien de mourants ?
    Le curé éclata de rire.
    – Émilie, ah ! Émilie. Cessez. Vous
allez me faire mourir. Vous parlez comme une bigote. Si vous voulez vraiment me
parler en amie, laissez mon sacerdoce de côté et parlez à l’homme que je suis.
À vous entendre, on dirait que je viens de faire une conversion spontanée. S’il
vous plaît, ne me faites pas l’affront de me dire ce que vous croyez que je
veux entendre. Dites-moi plutôt pour quelle bonne raison, cette année, vous
n’avez pas fait vos

Weitere Kostenlose Bücher