Le cri de l'oie blanche
adorait
l’enseignement mais elle caressait l’ambition de faire des études supérieures.
– On m’a raconté ce que tu as fait le
jour de la tornade. Du sang-froid, qu’on m’a dit. « Votre fille a du
sang-froid. » La médecine, Blanche, tu y penses pas ?
– Non. Pour ça, il me faudrait un
caractère à la Marie Curie. La médecine ou la recherche, c’est pas le genre de
travail qui me conviendrait.
– Tu pourrais faire un bon médecin.
– J’aimerais mieux quelque chose de plus
doux.
– T’aimerais ? Tu as dit
« j’aimerais » ? Ça veut dire que tu y penses, d’abord.
Blanche était furieuse contre elle-même. Sa
mère l’avait encore amenée là où elle refusait d’aller. Elle ne voulait pas
parler de projets encore trop vagues.
– La seule chose à laquelle je pense,
c’est que la vaisselle est sale pis que j’ai plein de corrections à faire.
Émilie se mordit l’intérieur de la joue. Si sa
fille et elle étaient différentes en presque tout, elles avaient cependant en
commun leur incapacité à se faire brusquer. Elle, elle réagissait en criant.
Blanche réagissait en se taisant, en fuyant. Mais toutes les deux elles se
rebiffaient devant toute pression. Émilie la regarda se déplacer rapidement et
efficacement, ramasser les assiettes souill ées,
les tremper dans l’eau savonneuse, et se demanda ce qui attendait ce petit bout
de femme qui ressemblait à sa grand-mère Pronovost ; à qui Ovila avait
légué le bleu de ses yeux ; qui n’avait d’elle que la couleur des cheveux.
2 4
Blanche éteignit sa lampe en soufflant
légèrement, se demandant quand l’école serait éclairée à l’électricité. Elle
s’enroula dans ses couvertures puis, se rappelant que le printemps était arrivé
sans s’annoncer, en repoussa une au pied du lit. Dans une semaine, ce serait le
congé de Pâques et elle n’en pouvait plus d’attendre de partir pour
Trois-Rivières. Ce serait un drôle de départ. Sa mère et ses sœurs
l’accompagneraient. Toute la famille se déplacerait pour rendre visite à Paul
qu’une violente bronchite, probablement provoquée par le changement de saison,
clouait au lit. Et elles logeraient toutes chez Napoléon ! Elle
appréhendait ce moment, certaine que l’énergie de ses sœurs viendrait à bout de
la patience de la mère de Napoléon. Mais elle craignait davantage les tête-à-tête
de fin de soirée entre sa mère et M me Frigon. Elle s’endormit
en rêvant que sa mère et M me Frigon faisaient un concours de
français bien parlé.
Ses sœurs arrivèrent enfin, plus excitées qu’à
l’accoutumée. Le temps de boucler les valises et de sauter dans le train,
Émilie et ses quatre filles arrivèrent à Trois-Rivières. Napoléon les
attendait, fidèle au rendez-vous. Blanche, à son grand étonnement, ne ressentit
pas la joie qu’elle avait anticipée. Si le sourire de Napoléon l’attendrissait,
il ne provoquait pas de pétillement dans son cœur.
Napoléon les fit toutes monter dans son
automobile et les conduisit chez lui. M me Frigon était devant
la porte, enroulée dans un châle pour se protéger d’une brise tellement douce
et discrète que son lainage lui faisait quasiment affront. Napoléon tint le
bras d’Émilie et l’aida à monter les quelques marches qui la séparaient de sa
mère. Émilie regardait cette femme qui l’attendait et respira profondément
avant de tendre une main rêche quand Napoléon fit les présentations. Ses trois
filles firent chacune une petite révérence et elle sourit intérieurement, fière
de leurs bonnes manières. Elles entrèrent dans la maison et M me Frigon
s’empressa de demander à sa domestique de leur indiquer les chambres qu’elle
leur avait assignées. Blanche et Napoléon montèrent les derniers. M me Frigon
s’appuya sur la rampe au pied de l’escalier.
– Quand vous vous serez rafraîchies, je
vous attends au salon pour la collation.
Émilie la remercia poliment mais elle
redescendit presque aussitôt, son manteau toujours sur le dos .
– Vous m’excuserez, madame Frigon, mais
vous comprendrez certainement que j’aimerais aller voir mon fils. Si vous étiez
assez aimable pour m’indiquer la route à suivre, je partirais immédiatement.
– À pied ?
– Mais oui. Une bonne marche a jamais tué
personne.
– C’est que c’est assez loin. Au moins un
mille.
Émilie éclata de rire et lui affirma qu’elle
avait l’habitude et
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