Le cri de l'oie blanche
raconté ça. Est-ce
que vous avez besoin d’aide ?
– Non, merci. Je suis capable de me
débrouiller. Mais vous êtes bien aimable.
– Mon mari pis moi, on s’en va au
village. Est-ce que vous voulez quelque chose ?
– Peut-être, oui. Juste un peu de bœuf
haché. Pis si c’est pas trop demander, seriez-vous assez aimable de passer au
bureau de poste ?
– Ça va nous faire plaisir. Montrez-moi
donc ça, votre cheville.
– Je vous avoue que j’ai pas envie
d’enlever les guenilles d’eau froide. C’est que ça élance.
– Vous avez raison. Faut pas faire de
folies avec ça. Vous êtes sûre que c’est pas cassé ?
– Oh ! non. J’ai réussi à m’appuyer
dessus un tout petit peu.
– Bon, j’vas vous laisser. Pis si vous
avez besoin de quelque chose, faites-nous-le savoir par André. On va au village
à peu près à la même heure à tous les jours. C’est comme ça quand on va
chercher deux grands garçons au collège.
– Bourrés de talent à part de ça.
La mère d’André vint lui porter sa viande une
demi-heure plus tard. Elle n’avait cependant reçu aucune lettre. Elle la
remercia et monta à l’étage en promettant de saluer sa mère.
Joachim Crête était revenu, mais, cette fois,
elle l’avait empêché de monter en l’assurant que sa mère dormait paisiblement
et qu’au moindre bruit elle se réveillerait. Crête l’avait regardée d’un regard
perçant et méfiant. Elle se tenait la cheville élevée sur une chaise qu’elle
avait recouverte d’un coussin.
– La prochaine fois, je veux la voir.
C’est à croire que ta mère est pas ici.
– Voyons donc, monsieur Crête. Vous
l’avez vue vous-même !
Les parents d’André, qu’elle attendait
toujours dans la classe, la dépannèrent pendant dix jours. Il y avait
maintenant près de deux semaines qu’elle vivait avec le fantôme de sa mère et
elle se laissait gagner par le découragement. Ce jour-là, ils apportèrent enfin
une lettre. Elle regarda la lettre et éclata de rire.
– C’est toujours pareil. Ma mère est
revenue d’Abitibi depuis deux semaines pis sa lettre arrive aujourd’hui. C’est
à se demander si les maîtres de poste ont l’horaire des trains.
Elle se tourna vers l’escalier.
– Moman ! Moman, votre lettre est
arrivée. Ah ! ah ! ah !
Elle la jeta dans sa corbeille à papier en
riant encore.
– J’ai pas besoin de la lire. Je sais
tout ce qu’il y a dedans. C’était la seule lettre ?
– Oui. Pis on vous a apporté un petit
extra, pour vous pis votre mère.
Blanche blêmit. Leur générosité la mettait
franchement mal à l’aise. Elle accepta néanmoins les deux bananes qu’ils lui
tendaient.
– Mais c’est une folie. Des bananes !
Comment vous remercier ?
– En faisant tout pour que notre André
soit prêt pour le collège, lui aussi. C’est sa dernière année de petite école.
C’est cette année que ça se décide.
Blanche promit.
De recevoir des nouvelles de sa mère lui
guérit presque complètement la cheville. Elle conserva néanmoins un bandage,
pour plus de protection. Maintenant, elle attendrait Joachim Crête qui, elle le
savait, arriverait à la même heure que la semaine précédente : l’heure des
visites aux pensionnaires. Il avait rôdé autour de l’école pendant toute la
semaine mais, comprenant son manège, elle allumait ou éteignait la lampe dans
la chambre de sa mère selon l’heure du jour, écartait ou tirait le rideau,
ouvrait ou fermait la fenêtre.
Le dimanche matin, elle enleva les cinq
couvertures du lit de sa mère et aéra la chambre. Elle rangea le plateau et
s’assit à la table de la cuisine pour relire la lettre une centième fois. Sa
mère lui annonçait qu’elle ne rentrerait pas. Son frère Honoré venait de perdre
sa femme et elle avait décidé de l’aider à s’occuper des enfants, décision
facilitée par le fait que, tout près de Val-d’Or, on avait besoin d’une
institutrice. De plus, le salaire était plus intéressant que celui qu’elle
aurait fait à Saint-Tite. Sur le troisième feuillet, elle la priait d’aviser
Joachim Crête de son absence prolongée, et de lui demander de l’excuser et
d’embaucher une remplaçante. Elle reprendrait ses classes l’année suivante. Sur
le quatrième feuillet, elle demandait à sa fille de prendre soin de ses sœurs, auxquelles
elle promit d’écrire à toutes les semaines.
Si Blanche comprit la décision de sa mère
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