Le cri de l'oie blanche
pris une bouchée. Elle
laissa le plateau sur la table de chevet de sa mère. Regardant autour d’elle,
satisfaite, elle descendit dans sa classe et elle commençait à réviser la
matière qu’elle aurait à voir le lendemain avec les grands élèves de sa mère
lorsqu’elle entendit une automobile s’arrêter devant l’école. Elle renifla.
– Je le savais. Il a vu passer Edmond pis
il a pas perdu une minute. J’ai bien fait de rester.
Elle demeura assise à son pupitre, feignant
d’être absorbée et de ne pas l’avoir entendu venir. Elle perçut le bruit de la
clef dans la serrure et ricana intérieurement. Joachim venait de verrouiller la
porte qu’elle avait volontairement laissée déverrouillée. Il essaya d’ouvrir,
doucement, mais, devant la résistance de la porte, jura et reprit sa clef. Elle
ricana plus fort, prenant conscience que son rire révélait davantage de
nervosité que d’amusement.
Joachim Crête entra dans l’école et l’aperçut.
Elle se tenait la tête, les deux mains sur les oreilles, et feignait une
concentration totale. Quand elle le crut remis de sa surprise, elle leva les
yeux et poussa un « Ha ! mon Dieu ! » tellement convaincant
que ce fut Joachim qui sursauta.
– Monsieur Crête, vous m’avez fait peur.
Je pensais que c’était un quêteux.
Joachim tenta de sourire mais il ne réussit
qu’à grimacer de déception.
– Je voulais pas déranger, ça fait que…
Tu es pas au couvent avec tes sœurs ?
Le ton de sa voix venait de trahir ses véritables
intentions.
– Non. J’aimais mieux rester avec moman
au cas où elle aurait besoin de quelque chose et pis voir la matière pour la
classe des grands. Une maîtresse d’école est jamais assez préparée.
Joachim, guindé, acquiesça.
– J’ai toujours admiré ceux qui ont de la
conscience professionnelle, comme ils disent. Euh… est-ce que tu penses que je
pourrais aller saluer ta mère ?
Blanche s’efforça de ne pas tiquer.
Maintenant, le jeu se corsait.
– Certainement. Ma mère va être contente
de vous voir.
Elle ferma sa plume et se leva lentement.
– Vous savez, avec sa conscience
professionnelle, ça la mortifie de pas être là, debout devant la porte. Pis,
pour moi, une rentrée comme ça, c’est pas vraiment une rentrée.
Elle se dirigea vers l’escalier et monta sur
la pointe des pieds. Joachim Crête l’imita d’abord, puis, prenant conscience de
ce qu’il faisait, il pinça les lèvres durement et martela les marches de ses
talons usés mais pas assez pour ne pas être bruyants. Blanche se retourna et
mit son index sur sa bouche.
– Je voudrais pas qu’on la réveille si
elle dort. De ce temps-là, ma mère a bien besoin de sommeil.
Joachim ne fit aucun effort marqué pour
assourdir ses pas. Blanche lui demanda de l’attendre, le temps de voir si sa
mère était présentable. Il se laissa tomber sur une chaise et se gratta une
piqûre de mouche noire qui lui agaçait le cou,
juste à la racine des cheveux.
Blanche entrebâilla la porte de la chambre
d’Émilie derrière elle après avoir frappé trois petits coups délicats et être
entrée. Elle se tint la poitrine à deux mains, se passa la langue au-dessus de
la lèvre supérieure pour essuyer la sueur qui y perlait. Maintenant, elle
devait agir rapidement. Joachim n’était pas reconnu pour sa patience. Elle
s’approcha du lit, jugea de l’effet des couvertures faisant office de mannequin,
prit le verre du plateau qu’elle avait posé et le roula dans ses mains pour que
le lait amassé au fond fasse un cerne frais.
– Je m’excuse, moman, de vous avoir
réveillée. Est-ce que vous avez bien mangé ? Je vois que vous avez laissé
un morceau de biscuit.
Elle grimaça, ferma les yeux et essaya de
retrouver les intonations de la voix de sa mère, comme elle le faisait souvent
lorsqu’elle s’amusait à l’imiter. Elle chuchota, tentant de reproduire une voix
affaiblie :
– Merci, ma Blanche. Laisse-moi,
veux-tu ? Je veux dormir encore.
– C’est que monsieur Crête est ici pour
vous voir.
Elle toussota faiblement.
– Oh ! non. J’ai pas envie d’avoir
de visiteurs aujourd’hui. Demain peut-être.
– C’est que…
– Non !
Elle espérait que Joachim n’avait pas perdu un
mot de la conversation quand elle l’entendit s’approcher de la porte
entrouverte. Elle s’empressa de se pencher sur la forme de sa mère. Certaine
que Joachim la regardait, elle
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