Le cri de l'oie blanche
de
demeurer auprès de son frère – tout en sachant qu’ils ne s’étaient ni vus ni
écrit depuis des années –, elle ne réussissait pas à s’expliquer que sa mère s’exposât
aux représailles des commissaires en ne se présentant pas en classe. Mais elle
fut davantage attristée par le sentiment d’abandon qu’elle ressentait. Sa mère,
elle le soupçonnait, cachait quelque chose. Maintenant, il lui faudrait
annoncer cette nouvelle à ses jeunes sœurs qui, elle n’en doutait pas,
réagiraient fort mal. Elle craignait surtout les réactions d’Alice et de
Rolande. L’absence inexpliquée de leur mère, sûrement incompréhensible pour
elles, renforcerait leur triste sentiment d’être des orphelines.
Joachim Crête entra en trombe, sans frapper,
en hurlant comme un putois. Blanche l’avait vu arriver et s’était empressée de
feindre de l’accueillir.
– C’est fini, ton petit jeu ! Ta
mère est pas ici, j’en mettrais ma main au feu.
Sans attendre, il se rua dans l’escalier et se
précipita vers la chambre d’Émilie.
– Ha ! Je le savais !
Il se tourna vers Blanche, qui l’avait suivi.
– Tu vas avoir des comptes à rendre,
mam’zelle. De mémoire, ta mère a jamais manqué une journée d’école pis tu as
voulu me faire croire qu’elle était couchée depuis deux semaines…
– J’ai rien voulu faire croire. Ma mère a
perdu sa belle-sœur pis elle est partie cette nuit pour l’Abitibi.
– Tu me prends-tu pour un imbécile ?
Elle a jamais pris de train pour la bonne et simple raison que des trains pour
l’Abitibi, il y en avait pas !
– Je sais. Elle est partie en auto avec
son frère Napoléon, celui qui habite à Saint-Stanislas.
Joachim demeura bouche bée, gesticulant des
bras et des mains. Blanche se retint pour ne pas rire. Elle prit le troisième
feuillet de la lettre de sa mère et le lut à Crête. Celui-ci lui arracha la
feuille des mains et lut lui-même. Elle remerciait le ciel que ce feuillet,
annonçant son intention de ne pas rentrer, ressemblât à un mot écrit expressément
pour régler ses affaires. Joachim froissa le papier.
– Peut-être que vous devriez l’apporter
aux autres commissaires, monsieur Crête. Pis le mettre dans vos dossiers. C’est
pas que j’ai pas confiance en vous, mais des fois on peut perdre un papier. Par
distraction, bien entendu. Mais ma mère vous a avisés, vous pis les
commissaires, en bonne et due forme. Si vous pensez que vous pouvez être
distrait, je peux porter le papier moi-même.
Elle savait que Joachim Crête l’aurait
crucifiée, mais il lui fallait protéger l’emploi de sa mère. Sans ce papier, il
pouvait l’accuser d’avoir abandonné son poste – ce qu’elle avait fait –, mais,
grâce au jeu de cachette que Blanche avait joué pendant deux semaines, Émilie
était sauve.
Joachim mit le papier dans sa poche et sortit
de l’école en claquant la porte.
– Du trouble. Ta mère pis le trouble,
c’est la même affaire. À c’t’heure, il va falloir qu’on trouve une autre
maîtresse pour l’année. Rien que du trouble !
Dès qu’il fut hors de vue, Blanche monta à
l’étage en sautillant allègrement sur sa cheville bandée. Elle arracha le
bandage joyeusement et fit trois pas de valse. Puis elle éclata de rire. Elle
avait gagné ! S’il avait eu des doutes quant à la présence de sa mère, il
n’avait jamais imaginé qu’elle avait feint une foulure, uniquement pour ne pas
quitter l’école. Si seulement elle avait pu raconter à quelqu’un ce qu’elle
avait fait ! Elle redescendit dans la classe, prit une feuille de papier
et sa plume et écrivit toute l’histoire dans une lettre à sa mère.
Deux semaines plus tard, elle reçut une
réponse. Sa mère avait écrit : « Ah ! ah ! ah ! Mon
père n’aurait pas fait mieux ! » Rien de plus.
2 7
Laurette Dontigny arriva la semaine suivante.
Les commissaires avaient mis trois semaines à trouver une remplaçante à Émilie.
Blanche fut heureuse de l’accueillir, car, maintenant que récoltes et labours
étaient terminés, de nouveaux élèves arrivaient à chaque jour. Laurette, qui
était plus âgée qu’elle, s’installa dans la chambre de sa mère. Quoiqu’elle fût
de Saint-Tite, elle habitait à l’école pendant la semaine, ne rentrant chez ses
parents que la fin de semaine. Cet arrangement satisfaisait Blanche. Maintenant
qu’elle assumait la responsabilité de l’école et de la
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