Le cri de l'oie blanche
famille, elle était
allée rencontrer les religieuses et leur avait demandé s’il était possible que
ses sœurs sortent à toutes les semaines. Cette permission, compte tenu de la
situation familiale, lui fut accordée. Blanche eut l’impression qu’elle l’avait
été davantage pour la désennuyer, elle, que ses sœurs.
Avec Laurette, elle s’entendait bien. Elles
avaient chacune leur méthode d’enseignement mais les résultats des élèves
étaient excellents et Laurette avait accepté, sans poser de questions, de
veiller plus particulièrement sur le travail d’André. Blanche avait insisté,
s’offrant même à le faire. Les parents d’André, à leur insu, lui avaient permis
de mentir à Joachim Crête. Elle souffrait d’avoir été forcée d’abuser d’eux
mais tint sa promesse de tout faire pour que leur fils puisse entrer au
collège.
L’hiver s’était installé en roi et maître sur
les terres de Saint-Tite. Blanche appréhendait le temps des fêtes. Seule avec
ses trois sœurs, elle aurait à trouver des activités hors du commun pour leur
faire oublier l’absence de leur mère. Elle-même ne cessait de s’interroger.
Elle espérait que sa mère lui expliquerait les raisons de son départ précipité.
Les femmes du village, romantiques, racontaient qu’elle était partie rejoindre
son mari. Les hommes se taisaient. Blanche, elle, essayait de ne rien entendre,
de ne rien penser des racontars. Elle s’efforçait de vivre une journée à la
fois, espérant que sa mère avait dit vrai en affirmant qu’elle serait de retour
l’année suivante. Sa hantise était que sa mère ne revienne pas assez tôt pour
qu’elle puisse enfin mettre ses projets, mûris depuis quatre ans, à exécution.
Pour surprendre ses sœurs, elle leur fit à
chacune une jolie robe, avec col et poignets de dentelle. Laurette, fascinée
par sa technique, lui demanda de l’initier à l’art de la dentelle française. Elle
le fit avec plaisir et les deux collègues purent passer ainsi de longues heures
à travailler le fil, en écoutant le poêle ronronner. Elles parlaient peu, ni
l’une ni l’autre n’ayant de penchant pour la confidence.
Un mois de décembre plus que glacial s’installa.
Blanche et Laurette assumaient, en alternance, la responsabilité d’alimenter le
poêle qui, attisé par les grands vents, était devenu vorace. Blanche se
demandait à quoi pouvait ressembler un hiver en Abitibi, région exposée aux
intempéries, sans autre protection que les épinettes et les arbres malingres.
Les lettres de sa mère arrivaient régulièrement, presque toujours accompagnées
d’argent qu’elle lui demandait de déposer à la banque.
Noël arriva enfin et Blanche fit cuire une
dinde trop grosse qu’elle et ses sœurs durent manger pendant quatre jours.
Blanche eut beau en apprêter les restes de toutes les façons imaginables,
l’appétit de toutes semblait irrémédiablement évanoui. Le nouvel an fut terne. Le vent soufflait tellement violemment
qu’elle n’osa pas sortir pour la messe de minuit. Elle céda néanmoins aux
pressions de ses sœurs, qui lui demandaient de leur donner la bénédiction. Elle
se trouva ridicule mais essaya de n’en rien laisser paraître. Laurette les
avait invitées chez ses parents, mais Blanche avait refusé. À entendre le vent
ébranler l’école, elle était maintenant contente de sa décision. Sans
automobile, sans même une carriole, elle se sentait prisonnière du rang sud.
L’eau de la pompe était gelée et ses sœurs devaient s’emmitoufler et sortir
avec des chaudrons qu’elles emplissaient de neige. À les entendre et à les regarder
suer pour monter les casseroles, elle avait presque hâte qu’elles retournent au
couvent.
L’Épiphanie fut encore plus triste. Blanche
brûla le gâteau qui contenait la fève et le pois .
C’en fut trop pour Rolande, qui éclata en sanglots en réclamant sa mère. Blanche
et Jeanne essayèrent de la consoler du mieux qu’elles purent, mais Rolande, qui
depuis le départ de sa mère n’avait pas osé se plaindre, déversa plus de quatre
mois de chagrin et d’incompréhension.
Blanche avait reconduit ses sœurs au couvent
et rentrait à l’école à pied, étouffant dans le vent. Elle avait beau marcher
en tournant le dos aux bourrasques, elle grelottait
malgré ses trois chandails de laine et son manteau à capuchon. Les milles qu’il
lui restait à parcourir étaient devenus un obstacle qu’elle
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