Le cri de l'oie blanche
bien. Dans le coin ici, les gens sont pas riches, mais plein de
gens pas riches, ça fait une grosse clientèle.
Marie-Ange, ne cessant de parler tout en
entrant dans la boutique, dissimulait difficilement sa fierté. Georges était
derrière le comptoir, affairé à vendre des bas à un client. Il leur sourit et
leur fit un petit signe en leur disant qu’il les rejoindrait aussitôt libéré.
Marie-Ange invita Blanche à passer dans l’arrière-boutique et, de là, monta à
leur appartement. Émilie lui avait souvent décrit la maison de Marie-Ange mais
Blanche fut surprise par le chic de l’endroit.
– Mais c’est immense !
Marie-Ange lui en fit faire le tour, essayant
de ne pas insister sur les boiseries de chêne mais ne manquant pas une occasion
de caresser le bois, y faisant glisser ses doigts chaque fois qu’elle franchissait
un seuil. Elle ne parla p as non plus du
plancher de bois franc que Georges avait fait poser, se contentant d’insister
sur la lumière qui y rebondissait partout. Elle dit à Blanche que les tapis
suspendus aux murs venaient d’Orient, sans en préciser le pays d’origine. Elle
lui fit voir la salle à manger davantage pour vanter la dimension que la beauté
de sa table et se donner le plaisir d’ouvrir les portes à carreaux vitrés et
plombés. Elle passa par la cuisine pour se rendre aux chambres – ce qu’elle
aurait pu faire par le salon –, montra à Blanche où se trouvaient la salle de
bains et la salle de toilette, deux petites pièces adjacentes. Elle la
conduisit enfin à la « chambre des visiteurs », dans laquelle elle
invita Blanche à poser ses valises. Blanche avait déjà vu le luxe de la maison
de Napoléon. Elle fut surprise de voir que le logement de sa sœur était presque
aussi joli, aussi riche. Elle se tourna vers elle et la félicita. Marie-Ange
sourit du compliment.
– J’ai pas grand mérite. Georges connaît
le beau. C’est lui qui achète pis moi je place les meubles. Je choisis la
couleur des murs pis des rideaux. Mais je suis meilleure que lui dans une
chose : le cuir. Quand on a travaillé à la manufacture comme j’ai fait, on
reconnaît les différentes qualités de cuir. Tu vas voir, dans le magasin, tout
ce qui est en cuir, c’est moi qui l’ai acheté. J’ai forcé Georges à changer de
fournisseur.
Blanche regardait sa sœur, renversée de la
voir aussi sûre d’elle. Tout en parlant, Marie-Ange avait enfilé un tablier et
s’apprêtait à peler des pommes de terre. Pour calmer sa fille, elle lui en
donna un morceau. Blanche s’empressa de l’aider. Marie-Ange refusa son aide.
– Va donc dans ta chambre à la place. Tu
as pas mal de valises à défaire.
Blanche ouvrit la première valise, sa nièce à
ses côtés, pressée d’en voir le contenu.
– C’est une belle robe, ça, ma tante.
– Tu trouves ?
– Oui.
– D’abord, si j’ai le temps, j’vas t’en
faire une presque pareille.
Elle savait que sa promesse ne devait pas
emballer Aline plus qu’il ne fallait, sa nièce étant vêtue d’une jolie robe
bien empesée. Elle se doutait aussi qu’elle devait avoir une garde-robe bien
remplie.
– Avec de la dentelle comme
celle-là ?
– Si tu veux.
– C’est ça que je veux.
Georges les rejoignit enfin, embrassa sa
belle-sœur et lui demanda si elle se sentait affolée à l’idée de vivre à
Montréal. Blanche répondit qu’au contraire elle avait hâte de tout découvrir.
Une semaine après son arrivée, Blanche n’avait
pas encore exploré la ville. Elle avait épluché toutes les annonces classées et
découpé tout ce qui annonçait une chambre à louer. Elle avait aussi passé des
heures à regarder une carte de la ville, à mémoriser les noms des rues, à
essayer de s’orienter sur le papier avant de le faire sur les vrais trottoirs.
Elle avait repéré toutes les rues mentionnées dans les annonces de même que
l’endroit qui l’intéressait le plus : l’université de Montréal. Elle
savait que pour y accéder elle devait prendre le tramway numéro quinze de la
rue Sainte-Catherine. En attendant, elle occupait une partie de ses journées à
amuser sa nièce pendant que sa sœur travaillait au magasin. Marie-Ange semblait
aimer être derrière le comptoir et Blanche comprit que sa présence lui
facilitait ce plaisir.
– Marie-Ange, est-ce que ça te
dérangerait si demain je partais de bonne heure pour aller voir quelque
chose ? Je devrais être revenue vers
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