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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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trois dernières heures de cette
nuit interminable, attisait la colère qui l’habitait depuis sa visite à
l’université. Rien, depuis son arrivée à Montréal, ne ressemblait à ce qu’elle
avait imaginé en quittant Saint-Tite. Dans quelques heures, elle partirait de
la maison pour se rendre au Monument-National, rue Saint-Laurent. Suivre un
cours de secrétariat !
    Elle avait voulu fuir la pauvreté notoire de
sa famille mais à Montréal elle se sentait encore plus démunie. Ses grandes
illusions évanouies encore une fois, elle en était certaine, à cause de son
manque d’argent, elle avait dû revoir avec sa sœur toute l’entente convenue
avant son arrivée. Marie-Ange lui avait offert d’habiter chez elle pendant
l’année, le temps qu’elle décroche son certificat. Elle n’aurait pas de pension
à payer, en retour de quoi elle s’engageait à garder Aline tous les après-midi
pour permettre à sa sœur de travailler au magasin. Blanche avait accepté à
contrecœur. Elle avait tant désiré connaître la solitude et l’indépendance que
cette solution, quoique extrêmement pratique pour tous, lui apparaissait comme
un net recul par rapport à ses attentes.
    Elle se cherchait, maintenant, dans ces rues
toujours animées. Elle voulait se rencontrer à une intersection et se féliciter
de l’heureux choix qu’elle avait fait. Mais nulle part elle ne se voyait. Elle
ne faisait que se heurter à une déception qui ressemblait probablement à celle
que sa mère avait connue quand elle avait dû
abandonner son mariage pour retrouver un pastiche de célibat traînant avec lui
les vestiges d’un échec. Elle s’était pourtant promis d’aller plus loin. De
faire de sa vie quelque chose d’inusité. Maintenant elle se retrouvait seule,
avec un avenir qui s’écrirait en sténographie et serait communiqué
dactylographié.
    Elle avait écrit à sa mère pour l’informer de
sa décision de suivre un cours de secrétariat. Elle avait feint un enthousiasme
à tout casser pour atténuer le chagrin que sa mère aurait. Parce qu’elle savait
que sa mère serait déçue en lisant ses propos teintés d’optimisme. En écrivant
cette lettre, elle avait pleuré de rage, éloignant son visage du papier pour
empêcher les mots de se brouiller de larmes et de trahir son chagrin. Elle
imaginait sa mère la lisant, hochant tristement la tête en murmurant quelque
chose comme : « Ma fille devrait viser plus haut que ça. »
Blanche trouvait admirable le travail qu’effectuaient les secrétaires, mais la
simple idée de devoir rendre compte quotidiennement de tous ses faits et gestes
à un patron lui faisait douter d’avoir l’étoffe. Elle avait toujours pris seule
ses décisions. Elle n’avait jamais eu de véritable patron. Elle avait assumé
ses victoires et ses échecs et avait été récompensée à deux reprises en quatre
ans. Même son compte en banque reflétait l’énergie qu’elle avait mise à
entortiller du fil pour en faire de la dentelle.
    Le soleil pâlit le reflet du néon, ses rayons
s’y confondant peu à peu. Blanche se dirigea vers la cuisine après être passée
dans sa chambre pour arrêter la sonnerie de son réveille-matin. Elle mit l’eau
à bouillir et se fit couler un bain. Elle infusa un café bien noir, comme
l’aimaient sa sœur et son beau-frère, et passa à la salle de bains pour
l’occuper la première sans retarder les autres. Elle essaya de se frotter la
figure assez fort pour en faire disparaître toute tache d’insomnie mais n’y parvint pas. Ses yeux boursouflés et cernés la trahiraient
tout au long de cette journée qu’elle aurait voulu prendre dans ses mains,
rouler en boule et lancer de toutes ses forces à l’autre bout de sa vie.
    Elle mangea seule avec sa nièce, en silence,
incapable de sourire. Elle prit sa serviette dans laquelle elle avait déjà mis
les livres, les cahiers et les crayons qu’on lui avait dit d’acheter. Elle
avait passé sans difficultés l’examen d’admission et la dame qui l’avait
« évaluée » lui avait affirmé qu’elle était une candidate de choix,
promise à un brillant avenir.
    – C’est rare qu’on a des secrétaires
aussi instruites que vous. Dans un an , peut-être
deux, vous pourriez faire votre place au sein d’une grosse compagnie.
    Blanche l’avait remerciée de sa confiance et
de son encouragement en se demandant quel genre de place une secrétaire
instruite pouvait obtenir.
    Elle quitta

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