Le cri de l'oie blanche
garçon, tu peux
le voir en faisant le tour de l’école. En haut pis en bas. Mais, à bien y
penser, je crois que j’apporterai pas les pupitres !
– Pis la maison de votre M. Trudel,
quand est-ce que vous allez pouvoir la prendre ?
– La maison est vide. Pas toute vide,
parce que ses meubles sont dedans, mais presque vide. M. Trudel est allé
travailler à l’extérieur du village. Mais l’entente que mon fils Émilien a
faite, c’est que nous autres on habite la maison pis à chaque fois que
M. Trudel va venir au village, il va rester dans la chambre des visiteurs.
Émilie se leva, alla chercher son sac à main,
revint vers la table, vida tout le contenu hétéroclite du sac et prit une clef.
– J’ai la clef ! Je l’ai prise hier,
en revenant de la gare.
– Ça fait que, madame Pronovost, vous
pourriez vraiment dé ménager demain ?
Ils se regardèrent tous. Une seule et même
idée germa dans tous les esprits. Ce fut Léon qui réagit le premier.
– Grouille-toi, Clément. On va chez ton
oncle chercher une voiture pis des valises.
Clément éclata de rire et bondit sur ses
pieds. Il regarda sa mère et lui fit un clin d’œil.
– Je pense que je peux retarder mon
départ d’un jour ou deux.
Émilie sourit avant de s’isoler dans sa
chambre et de laisser couler, durant quelques minutes, son trop-plein
d’émotions.
TROISIÈME PARTI E 192 9- 193 2
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Le train entra en gare tout doucement, comme
si son mécanicien avait deviné que la jeune fille qu’il transportait n’avait
pas besoin de se faire brusquer. Blanche se leva sans se presser, cachant comme
toujours sa nervosité sous un masque de calme, replaça ses cheveux et remit son
chapeau bien droit, s’assurant que le ruban était centré sur la nuque. Elle
prit les valises qu’elle avait gardées avec elle, sachant que les autres,
rangées dans le wagon à bagages, la suivraient. Elle verrait Montréal pour la
première fois. Il avait été convenu que Marie-Ange viendrait à sa rencontre. Il
était aussi entendu qu’elle logerait chez sa sœur, le temps de se trouver une
pension dans une bonne famille. Sa mère avait insisté sur ce point. Elle avait
aussi insisté pour l’accompagner mais Blanche avait refusé. Elle voulait partir
seule.
Marie-Ange l’attendait, agitant joyeusement la
main gauche et de la droite tenant fermement sa fille de trois ans. Blanche
avait eu l’occasion de la voir mais la petite Aline ne la reconnaissait pas.
Blanche fronça les sourcils et lui tira la langue. Aline éclata de rire et fit
la grimace elle aussi. Elles se dirigèrent vers la consigne, prirent les
valises de Blanche, celles que le porteur avait montées et celles qui venaient
du wagon à bagages. Blanche s’adressa au préposé.
– Est-ce que je peux laisser mes malles
ici pendant quelque temps ?
– Ça dépend. Combien de temps à peu
près ?
– Une, peut-être deux semaines.
– Ça va vous coûter quelque chose.
– C’est pas un problème.
Blanche partit avec Marie-Ange ; elle
était tellement fascinée par ce qu’elle voyait de la fenêtre du tramway qu’elle
en oubliait de parler à sa sœur. Elle lisait les noms des rues, presque amusée
d’être perpétuellement confrontée à des noms anglais qu’elle ne pouvait
déchiffrer. Elle souriait à la ville, aux maisons à étages, aux maisons
contiguës, aux escaliers en colimaçon. Elle tournait la tête pour mieux voir
une vitrine. Elle s’amusait de ne connaître aucun visage, sachant que le sien
aussi était inconnu, ce qui lui plaisait énormément. Tantôt elle demandait à
Marie-Ange si elle avait remarqué tel ou tel petit détail que Marie-Ange,
immanquablement, habituée à la trépidation de la ville, n’avait pas vu. Blanche
haussait les épaules et se remettait le nez à la fenêtre. Si son excitation
était grande, elle savait qu’elle n’en laissait rien paraître. Son reflet dans
la vitre lui retournait l’image d’une jeune fille posée, souriante et calme.
Elle sourit davantage.
Elles descendirent enfin, rue Ontario, et
marchèrent jusqu’à l’intersection de Saint-Germain. Blanche suivait Marie-Ange,
ne la quittant pas des yeux une seule seconde. Elles s’arrêtèrent devant une
immense mercerie pour hommes. Blanche lut l’enseigne : Mercerie
Boulanger.
– C’est trois fois grand comme le magasin
général de Saint-Tite !
– Pis on a des employés, Blanche. Le
commerce marche
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