Le cri de l'oie blanche
Marie-Louise avait proposés en blaguant, se découvrant plusieurs
affinités quant au style de vie qu’elles avaient mené dans leurs villages
respectifs. Blanche tut le fait que son père et sa mère ne vivaient plus
ensemble depuis plus de dix ans. Elles ne se cachèrent cependant pas leur pauvreté.
Ce dénominateur commun les rapprocha.
– Pour être ici, j’ai lavé des planchers,
ramassé des bleuets, pis fait dix millions d’autres affaires que j’ai oubliées. Sou par sou ,
que je me suis rendue. J’espère juste être acceptée. Toi ?
– J’ai enseigné pendant quatre ans pis
j’ai fait de la dentelle.
– De la dentelle ?
– Oui. De la dentelle française. C’est
une de mes camarades du couvent qui m’avait montré ça.
– En as-tu ici ?
– Oui.
En disant cela, Blanche se souvint qu’elle
avait promis à Aline de lui faire une robe avec un col de dentelle. Elle se
jura de le faire durant l’été. Aline avait la mémoire longue et si, depuis son
arrivée à Montréal, elle ne lui en avait pas reparlé, Blanche était certaine
qu’elle le ferait à son départ.
– As-tu un amoureux ?
Blanche pensa à Napoléon et se demanda ce
qu’il penserait de sa décision, maintenant qu’elle savait qu’il l’avait
pressentie avant elle-même. Elle sourit à Marie-Louise et soupira avant de
répondre.
– Non. Toi ?
– Non. Mais j’en ai eu un. Toi ?
– Moi aussi.
– En veux-tu un autre ?
– Non. Toi ?
– Non pour à c’t’heure. Oui pour dans
trois ans. J’ai envie de travailler avant pis de me faire une place. Toi, c’est
non non ou non oui ?
– Pour l’instant, c’est non non.
Elles parlèrent encore de tout et de rien, de
mode et de théâtre, de l’oratoire Saint-Joseph qui serait construit sur le mont
Royal, des tramways et des vitrines, et enfin de l’hôpital Notre-Dame. Le temps
fila si rapidement qu’elles décidèrent de prendre une bouchée. Elles essuyèrent
encore tous leurs ustensiles en riant.
Elles se quittèrent enfin, se promettant de se
rencontrer le 1 er juin, à huit heures,
devant l’entrée principale.
– Apporte des sels, Blanche.
– Pour quoi faire ?
– Au cas où je perdrais connaissance. Ou
toi. Faudra juste me dire où tu les as mis.
Le téléphone sonna à quatre heures moins dix.
Blanche sauta sur l’appareil. Elle décrocha, eut à peine le temps de poser
l’écouteur sur son oreille qu’elle entendit la voix de sa mère.
– Pis ?
– Rien à dire, moman.
– C’était facile ou difficile ?
– J’ai trouvé ça facile.
– Quand est-ce que tu vas savoir si on
t’accepte ?
– Pas avant le 1 er juin.
– Hein ? Mais, bon Dieu !
est-ce qu’ils vous prennent pour des orphelines de mère ? Ça a pas
d’allure de nous énerver comme ça pendant plus de trois semaines.
Blanche éclata de rire. Elle adorait ce ton
farceur que sa mère avait quand elle était heureuse.
– C’est sûr que ça pourrait pas être
avant ?
– Sûr. Pis c’est pas certain que ça va
être le 1 er juin au matin.
Peut-être juste le 2.
– Le 2 ?
Pourquoi pas le 3 ?
– Ça se pourrait. Peut-être même le 4.
– Arrête-moi ça, toi. J’vas maigrir de
cinq livres par jour en attendant.
Blanche fit un calcul rapide.
– Ça ferait au moins cent quinze livres.
Pourquoi est-ce que vous essayez pas une par jour ?
–…
– Moman ?
– Oui ? Je pensais, Blanche. Est-ce
qu’on pourrait s’entendre pour une demie ?
Chaque jour de ces trois semaines buta sur le
temps, mais le 1 er juin arriva enfin.
La veille, Blanche, nerveuse à l’extrême, était certaine d’être contrainte à une
nouvelle nuit d’insomnie. Marie-Ange sortit de sa chambre à coucher à onze
heures.
– Tu vas pas recommencer ça ?
– Ça quoi ?
– Ton maraudage.
– Comment ça ?
– Tu nous as volé, à Georges pis à moi,
toute une nuit de sommeil la veille de ton examen. À c’t’heure, tu vas venir
avec moi.
Marie-Ange alluma la lampe de la cuisine et
mit du lait à chauffer. Quand il fut prêt, elle en versa une énorme tasse.
– Bois ça.
– J’aime pas le lait chaud, tu le sais.
– Je sais que je sais ! Mais je sais
que tu vas avoir besoin de nerfs demain. Pis moi aussi. Ça fait que bois !
Blanche avala le lait en grimaçant et
Marie-Ange ne la quitta pas des yeux pour être certaine qu’elle n’avait pas
omis une seule goutte. Quand Blanche s’essuya la
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