Le cri de l'oie blanche
tard.
– Merci.
Marie-Louise sortit du bureau assez
rapidement. Blanche voulut la suivre mais la religieuse la retint.
– Félicitations, mademoiselle Pronovost.
Votre examen était excellent. En fait, je n’en ai jamais vu d’aussi bon.
Blanche sourit malgré elle, toute trace de
chagrin momentanément effacée.
– Merci.
– J’espère que vous serez aussi bonne en
pratique.
– J’vas essayer.
– On vous voit le 5 ?
– C’est certain.
– Au plaisir.
Blanche la salua, regarda la jeune fille qui
deviendrait sa consœur et quitta le bureau, se demandant combien de temps
s’était écoul é depuis le départ de
Marie-Louise. Deux minutes, pensa-t-elle. Trois, peut-être. Quelle distance
pouvait franchir en trois minutes une fille pressée par le chagrin ? Elle
ne la vit nulle part. Attristée par la misère de Marie-Louise, elle était aussi
accablée par le fait que sa nouvelle amie n’avait pas pensé à sa joie à elle.
Elle se mordit l’intérieur de la joue pour se réprimander d’avoir eu une telle
pensée. Elle sortit de l’hôpital et regarda aux arrêts de tramway mais ne vit
toujours pas Marie-Louise. Déçue, elle décida néanmoins de se gâter et de se
payer un café. Elle se dirigea donc vers le petit restaurant où elle et
Marie-Louise avaient passé d’interminables heures à rire.
Elle poussa la porte, qui lui parut d’autant
plus lourde qu’elle se sentait le cœur écrasé entre la joie et la tristesse.
Marie-Louise était assise à une table. Devant elle, deux tasses de café et un
bouquet de fleurs. Blanche fut émue presque aux larmes qu’elle ne se permit
pas.
– Ça t’en a pris du temps. Je commençais
à penser que tu viendrais jamais.
Blanche la rejoignit et s’assit.
– Des fleurs ?
– J’ai rencontré des gens accommodants à
l’hôpital. Les fleurs étaient dans une glacière. J’avais bien pensé que ça
pouvait servir aujourd’hui. Pis pas besoin de frotter le tour de ta tasse.
C’est déjà fait.
Pendant des années, Blanche s’était demandé à
quoi pouvait ressembler le goût de l’amitié. Maintenant, elle le savait.
L’amitié goûtait le pressentiment, le café chaud et sentait l’œillet. Elle
ouvrit son sac à main et en sortit un petit sachet de tissu fleuri retenu par
une boucle de couleur assortie. Elle le tendit à Marie-Louise. Celle-ci
l’accepta en riant presque.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Tu m’avais dit d’apporter des sels. Ça
fait que j’ai apporté des sels. Des sels… de bain.
Elles éclatèrent de rire et la serveuse les
dévisagea, l’air agacée par un manque aussi flagrant de tenue chez deux jeunes
filles qui semblaient pourtant être bien élevées.
– Blanche ? C’est moman. Pis ?
– À c’t’heure quand vous voudrez me
parler, c’est « garde Pronovost » qu’il va falloir dire.
–…
– Moman ?
– Oui. Je pensais. Ça a valu la peine que
je perde quinze livres !
– Pour vrai ?
– C’t’affaire ! C’est pas mon
genre de faire des promesses d’ivrogne. C’est pas que j’ai pas essayé. Ton père
a été mon meilleur professeur. Mais j’ai pas passé. Comme ça, c’est fait !
Ah ! Blanche, tu peux pas savoir comment ça me fait plaisir.
– À moi aussi. Je pense que si Marie-Ange
peut se passer de moi pendant l’été, j’vas descendre à Saint-Tite.
– Pourquoi est-ce que tu amènerais pas
Aline avec toi ? Des vacances à la campagne, ça pourrait être bon pour
elle.
– J’en parle. De toute façon, je serai
pas là avant la semaine prochaine. On a une rencontre le 5.
– Qui ça ?
– Toutes les étudiantes. Moman ?
– Oui ?
– Mon amie Marie-Louise est pas encore
acceptée.
–…
– Moman ?
– Ta préoccupation t’honore, Blanche.
Mais tu commences une profession…
– Un métier…
– Une profession où que ça va arriver
souvent. Va falloir que tu t’y fasses. Est-ce que c’est certain pour
elle ?
– Dans deux jours, j’vas le savoir pour
de bon.
– Attends donc tes deux jours. Peut-être
que tu vas avoir une surprise.
Blanche savait que sa mère avait compris son
angoisse. Elles avaient souvent parlé de l’amitié, se plaignant toutes les deux
à mots couverts de son absence dans leur vie.
Le lendemain matin, Blanche arriva la première
devant l’hôpital. Elle avait amené Aline, Marie-Ange devant s’absenter pour
accompagner Georges chez les fournisseurs.
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