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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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connais, il va réussir.
    – Où est-ce qu’il va trouver l’argent
pour se faire un inventaire  ? D’après ce que j’ai vu chez
Marie-Ange, ça demande pas mal de capitaux.
    Émilie éclata de rire et s’essuya les yeux.
    – Faut connaître ton frère. Futé comme un
renard. Il a réussi à se monter tout un inventaire. Pas cher, à part de ça.
    – Comment ?
    – Avec des boîtes vides !
    – Quoi ?
    – Des boîtes vides qu’il a ramassées chez
son ancien patron. Imagine-toi donc que, dans son magasin, c’est plein de
boîtes. Ça fait que ton frère a acheté un morceau par boîte. Pour montrer que
c’est rempli à craquer, il a laissé dépasser un bas ici, un mouchoir là. Pis
quand les gens veulent quelque chose, il leur dit que malheureusement il a pas
leur pointure. Ça fait qu’il se dépêche de commander à Montréal, pis une semaine
après, ses clients ont ce qu’ils attendent.
    – C’est pas vrai !
    – Oui, madame. C’est lui-même qui me l’a
raconté. Pis je le crois. Ton frère a jamais manqué d’idées.
    Les instants de retrouvailles terminés,
Blanche fouilla dans sa valise et en sortit une pile de papiers.
    – On a du travail, moman. Si ça vous
tente, évidemment.
    – C’est quoi, ça ?
    – Les patrons pour mon uniforme !
    – Montre.
    Elles analysèrent, décortiquèrent toutes les
instructions, regardèrent la quantité de tissu requise.
    – Combien est-ce qu’il t’en faut ?
    – Deux.
    – On va en faire quatre.
    – Êtes-vous malade ? Quatre
uniformes ? J’ai pas les moyens de me payer ça.
    – J’en paie deux, toi deux. C’est
correct, ça ?
    Blanche regarda sa mère et sut qu’elle ne
pourrait jamais l’empêcher de faire ce qu’elle venait de dire. Avec quatre
uniformes, elle savait que sa vie serait simplifiée.
    De voir ses sœurs, tellement grandes, lui fit
un choc. Elle eut l’impression que la vie la bousculait plus qu’elle ne l’avait
imaginé. Alors que la plupart des filles de son âge étaient mariées, elle
entreprenait la première de trois années d’études. Elle n’avait d’horizon que
celui de l’avenir, moulé sur l’amidon des uniformes blancs.
    Pendant le mois de juillet, Jeanne s’occupa
d’Aline tandis que Blanche et Émilie consacraient leurs journées à jardiner et
à coudre. Les uniformes étaient impeccables et Blanche parada devant sa mère,
les cheveux bien coiffés.
    Sa mère la regardait en souriant
silencieusement derrière ses pensées. Blanche l’observait et constatait à quel
point elle avait changé. Maintenant qu’elle avait cinquante ans, elle lui
paraissait terriblement fatiguée mais aussi terriblement sereine et, malgré
tout, terriblement jeune.
    Un soir qu’elles étaient seules et que Jeanne
avait emmené Aline rejoindre Alice et Rolande chez leur oncle, elles s’assirent
dehors, comme elles l’avaient si souvent fait, n’écoutant que le chant des
insectes et le bruit de la vie presque endormie du village.
    – C’est calme ici. J’avais oublié ça. En
ville, on trouve ça calme quand on n’entend pas les tramways ou les autos.
C’est même presque normal que le monde crie pis rie passé minuit.
    – Je sais. C’était déjà comme ça au début
du siècle. Je me rappelle que ton père pensait devenir fou en entendant du
monde rentrer à l’hôtel après une soirée.
    – Au Windsor ?
    – Oui.
    Elles se turent encore longtemps. Blanche
pensait à ce père qu’elle avait à peine connu, ne l’ayant vu qu’à quelques
reprises depuis ses dix ans.
    – Moman ?
    – Oui.
    – J’aurais une question à poser. Mais si
vous voulez pas répondre, gênez-vous pas. Je sais que dans votre temps les
femmes se mariaient pas nécessairement par amour. À c’t’heure, c’est changé,
mais dans votre temps…
    – Qui t’a dit ça, Blanche ?
    – C’ est ce qu’on dit.
    – Tu diras à tes « on » que
c’est pas vrai.
    Blanche sourit. Sa mère, elle s’en doutait,
avait fait un mariage d’amour. Un mauvais mariage mais un mariage d’amour quand
même. Des phares d’automobile éclairèrent le visage d’Émilie. Blanche la
regarda, vit des reflets dans ses yeux, des reflets comme elle n’en avait
jamais vu. Sa mère tourna son regard vers elle et soupira.
    – Ton père était tellement beau.
    Quand les uniformes furent terminés, repassés
et emballés, Blanche et sa mère continuèrent leurs travaux. Elles firent les
robes de couvent pour

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