Le cri de l'oie blanche
Être garde-malade, c’était pas pensable. Il y avait même pas
d’école. Ça fait que de te voir…
Émilie ne termina pas sa phrase. Elle avait la
gorge trop nouée. Blanche s’assit et la prit malhabilement dans ses bras.
– Moman, moman. Si ça avait pas été de
vous pis de votre tête de mule, je serais encore ici.
– Je sais. Je récolte ce que j’ai semé.
Émilie essaya de rire mais son rire se brisa
sur une larme.
– Mais, Blanche, je me suis tellement
ennuyée de toi pis de tous vous autres l’année passée que des fois je regrette
de vous avoir élevés comme j’ai fait.
Encore une fois, Émilie se tut, reniflant
discrètement.
– Même Rose se débrouille. J’avais dit
qu’elle se débrouillerait, mais à c’t’heure, me semble que j’aimerais qu’elle
soit ici avec moi.
– Les p’ tites
sont encore là pour longtemps, moman. Rolande a juste douze ans.
– Juste douze ans… Tu veux rire, Blanche.
Tu sais qu’à douze ans on pense tout seul. Rappelle-toi comment tu te sentais
dans ce temps-là. Vieillis pas trop vite, ma Blanche. Laisse-toi encore du
temps pour être jeune.
Émilie se leva et marcha en direction de la
fenêtre. Elle s’y pencha.
– À c’t’heure, faut se casser le cou pour
voir la lune. Dans mon temps, on la voyait partout.
Elle revint vers sa fille et lui prit la main.
– J’espère juste que tu fais ce que tu
veux faire pis que tu fais pas ça pour faire plaisir à ta têtue de mère.
– Non, moman. Je fais ça pour moi.
– Pis si tu rencontres un médecin à ton
goût, est-ce que tu vas laisser tomber ?
– Non.
– Comment est-ce que tu peux dire
ça ?
– Parce que j’en rencontrerai pas à mon
goût. Pour ça, faut regarder. Moi, c’est pas par là que je regarde.
Au grand désespoir de Blanche, Émilie
sanglota.
– Est-ce que c’est à cause de ton père
pis moi que tu as pas l’air de vouloir te marier ?
– Non… Peut-être… Je veux me marier. Plus
tard. Pas à vingt-deux ans.
– Plus tard…
– Oui, moman, plus tard.
Aline était excitée de voir le train entrer en
gare mais elle essaya de ne pas trop sauter afin d’éviter de froisser sa robe
neuve. Blanche embrassa ses sœurs et se planta devant sa mère.
– J’espère que vous allez venir à Noël.
Avec tout le monde. Savez-vous que si vous faisiez ça, il manquerait juste
Émilien pis Clément ? Pis on sait jamais, peut-être qu’on pourrait les
rejoindre.
– On verra, Blanche.
Blanche comprit que sa mère n’avait plus envie
de parler. Elle hocha la tête doucement. Émilie s’approcha et l’étreignit.
Elles se tapotèrent le dos et Blanche monta
dans le train en faisant des au revoir à une Émilie partagée entre les larmes
et le rire.
3 3
Blanche et Marie-Louise se rencontrèrent à
l’heure et à l’endroit convenus. La serveuse de la gargote était maintenant
habituée de voir ces deux jeunes filles qui riaient toujours et ne commandaient
que du café. Ni l’une ni l’autre ne pouvait tenir en place, n’ayant de hâte que
d’entrer à l’hôpital, chacune espérant qu’elle aurait la chance de choisir sa
compagne de chambre.
– As-tu passé un bel été ?
– Si coudre quatre uniformes c’est un bel
été, j’ai eu un bel été. Reposant pour la tête, fatigant pour les yeux pis les
doigts, surtout celui écrasé par le dé .
Blanche avait soudainement parlé sans
intonation. Marie-Louise fronça les sourcils tout en sirotant son café.
– Qu’est-ce que tu as ?
– Rien de spécial. C’est juste ma mère,
j’imagine, qui me tracasse.
– Elle est pas malade, toujours ?
– Non. Changée. Je t’ai déjà dit que ma
mère était toujours de bonne humeur. À c’t’heure, on dirait qu’elle s’ennuie.
Même qu’elle a pas le goût de faire des farces. Ce qui me dérange le plus,
c’est que ma mère va à la messe le dimanche pis des fois la semaine.
– C’est normal, ça, non ?
– Pas pour ma mère… Mais le plus
étonnant, c’est qu’elle m’a parlé de rentrer dans les Filles
d’Isabelle !
– Ha… !
Marie-Louise ne connaissant pas Émilie, elle
ne pouvait comprendre que son amie fût si perplexe.
Blanche termina là ses confidences au sujet de
sa mère. Elle avait déjà trop pensé à ce sujet. Elle se demandait si sa mère
avait vraiment autant changé ou si elle lui avait menti. Joachim Crête la harcelait
certainement encore, plus subtilement, mais sans
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