Le cri de l'oie blanche
fois plus fort pour bien le préparer. Clément, lui,
avait été très content d’apprendre qu’il habiterait chez la grand-mère, surtout
à cause des chevaux. Il avait eu un peu peur de ce qui se passerait au collège
– comme elle-même avait eu un peu peur de ce qui se passerait au couvent ;
mais comme elle était plus vieille que Clément, elle n’avait jamais osé le
dire. Sa mère avait simplement averti Clément de ranger ses poings et de sortir
ses plumes !
Une petite fille passa devant son lit, à pas
de loup, et se dirigea vers les toilettes. Un fantôme, pensa Blanche. Elle la
suivit du regard et attendit que la petite fille repasse pour recommencer à
penser en paix.
La religieuse qui dormait dans la cellule du
coin du dortoir, la surveillante, ouvrit son rideau et Blanche vit la lumière
de sa lampe disparaître quelques secondes derrière les immenses plis de sa
chemise de nuit. La religieuse se dirigea vers elle. Blanche ferma les yeux et
les rouvrit pour découvrir que la religieuse était plantée devant le lit de
Louisa.
– Mademoisell e
L’ Heureux, nous vous entendons depuis le coin de ma cellule. J’aimerais
que vous fassiez honneur à vos parents en vous comportant comme une grande et
non comme un bébé. Et vous, Marie-Blanche Pronovost, vous savez que le silence
est de règle au dortoir. Je ne veux plus entendre un mot.
Blanche pinça les lèvres pendant que la
religieuse poursuivait sa ronde avant de retourner à sa cellule. Elle entendit
des froissements, vit bouger le rideau à plusieurs reprises. Un autre fantôme,
pensa-t-elle. Elle pensa ensuite à Louisa et lui en voulut de ne pas avoir eu
de mouchoir. Puis elle pensa que Louisa devait avoir de bonnes raisons de
pleurer. À dix ans, on ne pleure pas pour des riens.
Le dortoir était maintenant redevenu calme et
Blanche comprit qu’elle était probablement la seule à ne pas dormir. De tous
les coins lui parvenait une symphonie de souffles profonds et calmes. Puis, de
la cellule de la religieuse, elle entendit un terrible ronflement. Jamais elle
n’avait entendu une femme ronfler ! Elle s’interrogeait sur ce fait
lorsque Louisa, elle aussi, commença à ronfler. Un ronflement qui sortait d’un
nez rempli de peine. Blanche savait que Louisa s’était endormie avec une peine
sur le cœur. Mais la sœur pouvait-elle avoir une telle peine aussi ? Sa
mère, elle le savait, avait eu beaucoup de chagrin et jamais elle ne l’avait
entendue ronfler. À moins que sa mère n’ait plus jamais dormi depuis qu’ils
avaient tous quitté Shawinigan. Elle concentra ses pensées sur cette découverte
avant de basculer enfin dans le sommeil. Mais sa dernière pensée fut pour son
père. Lui, souvent, il ronflait à faire lever la toiture. Son père avait-il
toujours eu du chagrin ? Ronflait-il, ce soir, dans sa forêt de
l’Abitibi ?
5
Émilie s’était levée tôt. Elle avait préparé
un petit déjeuner à la hâte pour qu’Émilien puisse manger avant son départ pour
le collège. Dès qu’il fut parti, elle habilla Rolande, prenant trop peu de
temps à son goût pour la dorloter, et demanda à Paul, Jeanne et Alice de
revêtir les vêtements qu’elle avait étalés la veille sur les dossiers des
chaises. La maisonnée organisée, Émilie consacra ce qui lui sembla être
beaucoup de temps à faire sa toilette. Elle dénoua les dizaines de petites
tresses qu’elle s’était faites la veille – elle avait découvert ce moyen pour
donner du volume à ses cheveux – et se fixa un énorme chignon près de la nuque.
Elle fit manger les enfants puis invita Paul, Jeanne et Alice à sortir. Elle
fit la vaisselle rapidement, jetant un coup d’œil à Rolande, rangea le tout,
sortit ce dont elle aurait besoin pour le repas du midi avant d’habiller le
bébé et de lui donner un biberon.
– Je sais, Rolande, que d’habitude tu
prends ton lait un peu plus tard, mais si tu veux, on va changer ça.
Le bébé ne se plaignit pas.
Émilie descendit, regarda par la fenêtre et
vit que ses enfants n’étaient plus seuls. Il y avait maintenant au moins dix
autres enfants qui lui étaient étrangers. Des petits et des grands. Les trois
siens, toutefois, demeuraient timidement à l’écart. Elle haussa les épaules,
fouilla dans son pupitre et remonta rapidement à l’étage pour chercher Rolande.
Elle descendit le bébé gavé dans la classe, l’installa dans l’espace qu’elle
lui avait aménagé : le coin avant,
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