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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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Au moins neuf. Tous avec elle à lui
prouver qu’elle avait bien fait de ne pas partir pour l’Abitibi. L’Abitibi.
Ovila. Elle eut une crampe dans le ventre. Depuis qu’elle avait quitté
Shawinigan, le silence d’Ovila avait meublé sa solitude.
    Elle marcha en direction de son lit, se
traînant les pieds, commença à déboutonner sa robe et se demanda, presque en
souriant, si toute sa vie elle se déboutonnerait seule. Ovila l’avait fait
tellement souvent. Gentiment. Non ! Elle ne voulait pas, ce soir, penser à
sa douceur. Elle devait penser à l’odeur de leur chambre de Shawinigan quand il
rentrait après des jours et des jours d’absence. Elle se coucha en gémissant un
peu dans sa fatigue extrême. Mais en pensant aux progrès de Paul, au talent de
Jeanne, à la chance d’Émilien, de Clément et de Blanche, elle se tut. Oui,
malgré tout, elle était fière d’elle. Quelque chose en elle lui disait que sa
vie de femme était terminée. Mais, au même moment, sa vie de mère prenait de la
saveur. Et elle avait bien l’intention de la déguster, même si parfois elle
avait l’impression que quelques mets brûlaient au fond du chaudron.

6
     
    Ils étaient tous là. Émilien était allé
chercher Marie-Ange, puis Rose et Blanche, puis Clément. Émilie les avait
attendus le nez à la fenêtre comme si elle avait attendu de grands invités. Une
belle fête ! Elle ferait une belle fête pour eux. Pour souligner leur
arrivée. Ils lui manquaient terriblement. Maintenant qu’elle les regardait
rire, la bouche pleine, les joues parsemées de miettes de gâteau, elle se demandait
comment elle avait fait pour les éloigner. Marie-Ange et Rose étaient toutes
les deux resplendissantes. Elle ne lisait plus ni amertume ni reproche dans les
yeux de Marie-Ange. Sa fille, sa mule à elle, racontait des anecdotes de la
Acme et les autres se tordaient de rire, tantôt pour une bobine de fil qui avait
volé sur la tête de la surveillante, tantôt pour un morceau de cuir que
quelqu’un, en cachette, avait taillé en forme d’œil de pirate. Rose, elle
aussi, riait, surtout quand elle raconta qu’au lieu de couper un fil elle avait
coupé tout le petit doigt d’un gant ! Émilie avait feint de rire mais elle
espérait que de telles distractions ne se produiraient plus. Clément, lui, parla d avantage du travail qu’il faisait à la ferme
que du collège. Émilie avait beau le questionner, il déviait toujours la
conversation sur quelque histoire de cheval ou sur l’avancement des travaux.
    Blanche demeurait en retrait, riant aussi fort
que les autres, parlant peu. Émilie la surveillait du coin de l’œil. Blanche
avait toujours été comme ça. Elle ne se mettait jamais en avant, préférant nettement
qu’on l’interroge. Marie-Ange lui posa enfin les questions d’usage sur la
routine du couvent et la matière vue en classe et lui demanda si toutes les
filles étaient gentilles.
    – Oh ! oui. Toutes les filles sont
fines.
    Émilie hocha la tête. Blanche n’aurait jamais
osé critiquer quelqu’un.
     
    ***
     
    Le congé de la Toussaint tirait à sa fin.
Émilie sentait son cœur rétrécir à chaque jour qu’elle biffait sur son
calendrier. Elle était tellement bien avec ses neuf enfants autour d’elle. Leur
présence et leur entrain lui faisaient oublier la promiscuité à laquelle ils
étaient contraints. Elle passa de longues heures à repenser à leur maison du
Bourdais. Ils y auraient été tellement confortables. Puis elle revit ses
maisons de Shawinigan. Au moins, là, ils avaient eu l’eau et l’électricité.
Maintenant, tout ce qu’elle pouvait offrir, c’étaient les combles d’une petite
école perdue, sans confort et sans couleurs. Une maison qui n’en était pas
vraiment une. Émilie sourit quand même. La
maison, finalement, c’était l’endroit qui sentait la soupe et le ragoût, le
savon et l’eau de Javel. Peu lui importaient les murs. Elle aurait toujours une
maison, tant et aussi longtemps qu’elle y entendrait des cris, des rires et des
disputes. Tant et aussi longtemps qu’elle aurait de quoi nourrir ses enfants.
Émilie fronça les sourcils. Quelque chose en elle clochait. Elle aurait dû
penser qu’une maison c’était une mère et un père. Comment pouvait-elle penser à
tout cela sans imaginer la présence d’Ovila ?
    Le congé de la Toussaint terminé, Émilie
reconduisit d’abord Marie-Ange et Rose, en profitant pour faire une halte

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