Le cri de l'oie blanche
entouré de broche, décoré de fleurs, de
poupées, de jouets, d’un coussin et d’une couverture. Son cœur se crispa. Elle
avait fait jouer Rolande dans cet espace et l’enfant avait semblé l’apprécier.
Maintenant, Émilie trouvait que ce petit coin, joli et coloré certes,
ressemblait à une prison. Rolande ne sembla pas de cet avis et elle commença
immédiatement à s’amuser. Émilie lui sourit, regarda l’heure, respira
profondément, prit la cloche par le battant et sortit de l’école en prenant
soin de laisser la porte ouverte. Elle jeta un coup d’œil en direction du rang
pour voir s’il y avait d’autres enfants en vue et, n’en voyant point, sonna la
cloche.
L’effet fut magique. Au premier tintement,
elle eut l’impression de réintégrer sa peau. Au deuxième tintement, elle sentit
ses joues rosir de plaisir. Au troisième, elle entendit distinctement battre
son cœur, ce qui ne lui était pas arrivé depuis le départ d’Ovila. Elle sourit
puis se mit à rire franchement, devant l’air étonné des enfants qui la
regardaient en se demandant pourquoi cette nouvelle et « vieille »
institutrice s’amusait tant à sonner la cloche d’appel.
Ils entrèrent dans la classe.
– C’est quoi, ça ?
– Hein ! un bébé !
– Ah ben ! c’est effrayant !
Comment est-ce qu’on est supposés travailler avec un p’ tit
qui chiale ?
– Penses-tu que le bébé va toujours être
là ?
Émilie fit comme si elle n’avait rien entendu.
Elle sourit à ses trois enfants, « ses » écoliers, pour les rassurer,
marcha jusque devant la classe, invita les élèves à prendre place selon leur
niveau scolaire, s’approcha du coin de Rolande et la prit dans ses bras avant
de se diriger vers son pupitre. Les élèves la regardèrent, étonnés, mais
n’osèrent rien dire.
– J’ai comme l’impression qu’il y en a
qui se posent des questions.
Elle regarda Alice, qui était restée debout à
l’arrière de la classe, heureuse d’y être, mais intimidée.
– Si vous regardez en arrière de la
classe, vous allez voir Alice.
Les élèves se retournèrent et la regardèrent
attentivement. Alice rougit jusqu’à la racine des cheveux.
– Alice, pour ceux que ça intéresse, va
avoir quatre ans au mois d’octobre. Alice est donc pas en première année. Mais
comme Alice, Paul et Jeanne, poursuivit-elle en les désignant du menton, habitent
l’étage du dessus, il va falloir vous habituer à les voir se promener assez
souvent. Mais Alice, elle, est pas une élève. C’est ma dame de confiance. Paul
et Jeanne sont des élèves. Pis attention à vous autres, parce qu’ils ont connu
l’école de la ville. Comme Alice a juste trois ans, c’est certain qu’elle va
pas suivre la classe de façon régulière. Par contre, Rolande, elle, va être une
élève assidue.
Elle présenta le bébé, lui chuchota quelque
chose à l’oreille, et Rolande fit un bonjour de la main, ce qui fit rire tous
les élèves.
– Dans quatre mois, vous allez voir comme
c’est pratique d’avoir un élève aussi jeune quand on fait une crèche de
Noël ! C’est pas mal mieux qu’une poupée.
Au fur et à mesure qu’elle avait parlé, Émilie
avait vu disparaître une bonne partie de l’hostilité qui avait crispé les
visages. La promesse d’une crèche vivante, les détails dont elle nourrit les
élèves sur tout ce qu’ils feraient pour le spectacle, la manière dont elle
déposa Rolande, avec désinvolture, sur les genoux d’une des plus grandes pour
ne la reprendre que quelques minutes plus tard, le calme de Rolande lorsqu’elle
l’installa enfin dans son coin firent que les liens entre Émilie et le bébé passèrent presque inaperçus. Les enfants avaient oublié
la mère pour ne voir que l’institutrice. Alice, invitée à s’asseoir, l’avait
fait discrètement, et Paul et Jeanne étaient fiers d’être les enfants de
l’institutrice et d’avoir le privilège d’habiter l’école.
Le premier avant-midi s’écoula rapidement,
Émilie étant déterminée à faire comprendre aux élèves que même si elle avait
des enfants, même si elle était « vieille », même si elle avait des
cheveux gris, elle connaissait l’école et la matière. Elle réprimanda Jeanne
parce qu’elle avait mis trop de temps à sortir un cahier, ce qui rassura les
élèves quant à son « sens de la justice ». Jeanne, elle, eut horreur
de cela.
Pendant la récréation, elle se
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