Le cri de l'oie blanche
le panier à provisions reposant sur ses genoux.
– Edmond aurait dû être ici depuis au
moins vingt minutes.
– Calmez-vous, moman. Peut-être qu’il
s’est levé trop tard.
– Trop tard ? On est pas en ville
ici, Blanche. Edmond a vingt chevaux à nourrir à tous les matins.
– Les chevaux sont dehors, moman.
– Ça fait rien. Faut quand même leur
donner de l’avoine.
– Les chevaux sont dans un champ
d’avoine !
– Ça fait rien. Faut donner de l’avoine
séchée aux chevaux.
Blanche n’insista pas. Sa mère se trompait
mais elle n’avait pas envie de discuter. Depuis qu’ils étaient levés, sa mère
ne cessait de maugréer.
– Tiens ! L’oncle Edmond arrive.
Paul avait parlé d’un ton ironique. Il avait
le premier aperçu Edmond marchant d’un pas rapide dans leur direction.
Émilie le regarda venir.
– Oh non ! Je gage que sa vieille
machine toute rouillée vient de tomber en morceaux. Fallait que ça arrive
aujourd’hui.
– Attendez donc, moman, avant de
commencer à critiquer son auto.
Blanche noircit ses yeux pour regarder Paul.
– Émilie… Émilie ! J’ai passé une
heure au garage. Ça a tout l’air que les pistons sont collés, que l’essieu est
pas droit, que l’eau circule pas assez bien pour refroidir le moteur…
– Épargne-moi la mécanique, Edmond.
Est-ce que ça veut dire que ta machine roule pas ?
– Ça veut dire que feu ma machine va
rester dans la cour du garagiste jusqu’à ce que quelqu’un achète les roues, pis
les poignées…
– Rentre le panier, Paul. Je pense qu’on
va faire notre pique-nique dans le jardin. Mieux : dans la cuisine. Tu
reviendras, Edmond. On en avait pour toi.
Émilie arracha le panier des mains de Paul,
ouvrit la porte rapidement et entra. Blanche et Paul demeurèrent avec leur
oncle.
– Tabarnouche ! On peut dire
que votre mère est à pic à matin.
Blanche et Paul éclatèrent de rire.
– Vous connaissez moman, mon oncle. Quand
elle s’est mis dans la tête de faire quelque chose, c’est épouvantable quand ça
marche pas. Ça pis un cataclysme, c’est la même affaire.
– Moman n’a jamais enduré la chaleur. Je
l’ai entendue se retourner une bonne partie de la nuit. La maison manque
d’aération.
– Si tu l’as entendue, Paul, c’est que
toi non plus tu dormais pas.
– Je dors peu, mon oncle. Cinq heures par
nuit, au maximum. Venez donc vous asseoir au lieu de rester debout sur le
trottoir.
Edmond monta les trois marches et rejoignit
son neveu et sa nièce. Il recommença à raconter les ennuis mécaniques de sa
Ford. Paul lui posait des questions à tout propos. Blanche les écouta pendant
quelques instants puis son regard fut attiré par une automobile neuve qui
roulait en plein centre de la rue.
– C’est à qui, cette auto-là, mon
oncle ?
Edmond s’appuya sur une colonne, regarda
l’automobile et fit un rictus d’ignorance.
– Jamais vue. Ça doit être un voyageur de
commerce.
Edmond reporta son attention sur Paul pendant
que Blanche, elle, descendait sur le trottoir pour mieux voir le chauffeur.
– Paul, viens donc me dire si je rêve.
Paul fronça les sourcils et rejoignit sa sœur.
Par la fenêtre de la portière gauche de l’automobile, un bras s’agitait.
– Qui est-ce que c’est ?
– Paul ! C’est Émilien.
Blanche s’empressa de répondre au signe qu’on
lui adressait tout en désignant Paul. La voiture s’arrêta enfin devant la
maison. Émilien en sortit, regarda sa sœur, puis son frère, puis sa sœur de nouveau.
Il ouvrit les bras et Blanche s’y précipita. Ils se libérèrent enfin et Paul
tendit la main à son frère, qui l’emprisonna des deux siennes.
– Combien d’années, Paul ?
– J’ai perdu le compte. Près de dix ans,
je pense.
– Pis toi, Blanche ?
– Depuis la mort de grand-maman
Pronovost.
Émilien salua son oncle, qui s’excusa presque
aussitôt et les quitta.
– Moman est ici ?
– Oui. De mauvaise humeur. On devait
aller au lac aux Sables faire un pique-nique avec mon oncle Edmond. Son auto a
rendu l’âme, ce matin.
Blanche et ses deux frères se regardèrent. En
une fraction de seconde, la complicité de leur enfance resurgit. Émilien fit un
clin d’œil et s’assit sur la galerie pendant que Paul, feignant un profond ennui,
pénétra dans la maison. Blanche, à côté d’Émilien, se pinçait le nez.
– Je suis bien content de ne pas aller au
lac. Il fait
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