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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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ne travaillaient
pas dans le même service. Elles avaient consacré des heures à piquer leur
orange et toutes les deux, la même journée, avaient administré une vraie
injection d’une main sûre malgré les tremblements de leur cœur. En voyant
approcher le temps des fêtes, elles avaient inscrit leurs noms sur la liste des
volontaires et Blanche avait averti Marie-Ange qu’elle serait définitivement
absente. Depuis son retour à Montréal, elle avait peu pensé à Saint-Tite et à
sa famille, s’immergeant entièrement dans les sirops et les élixirs. Plusieurs
internes avaient sollicité sa compagnie mais elle avait toujours refusé, de
même que Marie-Louise. Leur acharnement à travailler fit qu’elles devinrent, à
leur insu, l’objet de gageures. Les internes paria ient
à qui réussirait à en distraire une. Mais
toutes les deux, cachées derrière leur beauté dont elles n’avaient pas
conscience, s’étonnaient qu’on les remarquât. En de rares occasions, quand
leurs soirées de congé coïncidaient, elles se pomponnaient, revêtaient un
uniforme craquant de fraîcheur, posaient leur cape bleue sur leurs épaules,
sautaient dans un tramway et descendaient dans l’ouest de la ville, au Ritz. Il
n’y avait rien qu’elles aimaient davantage que de s’asseoir devant l’entrée du
grand salon ovale un samedi soir, mine de rien ou feignant d’attendre
quelqu’un, et de regarder les toilettes des dames et les habits bien coupés des
hommes.
    – Un jour, Marie-Louise, c’est moi que les
gardes-malades vont regarder passer.
    – Avec ton riche mari pis ta dame de
compagnie ?
    – Peut-être…
    Quand Blanche lui faisait de telles
confidences, Marie-Louise était toujours étonnée de sa soif d’argent.
    – Tu comprends pas, Marie-Louise. C’est
pas l’argent pour l’argent. C’est l’argent pour plus jamais de ma vie en
manquer. Rien d’autre.

3 9
     
    Au printemps 1932, Blanche et Marie-Louise se
virent confrontées davantage à leur engagement. Maintenant que le soleil
d’avril commençait à se dandiner plus tardivement et que le moral de tout le
monde remontait jusqu’à la bonne humeur permanente, elles se demandaient
comment elles feraient pour n’avoir que trois semaines de vacances.
    – On le savait pas, mais quinze semaines
en première année, c’était du gâteau. Tu te rends compte, Blanche ? Trois
semaines cette année pis trois l’année prochaine. On va mourir.
    – Voyons donc ! Quand on va
travailler pour vrai, on va en avoir moins que ça.
    – Parce qu’on travaille pas pour
vrai ?
    – Pas à sept piastres par mois, non.
    – Bon, c’est reparti.
    Ce mois d’avril allait se terminer en beauté
quand Blanche reçut un appel de sa sœur Jeanne, qui pleurait comme une
Madeleine. Jeanne lui annonça que leur mère avait décidé de quitter Saint-Tite
et sa belle maison pour retourner dans une école du lac aux Sables. Blanche
avait été renversée par cette décision.
    – Pourquoi ?
    – On le sait pas. Tout ce qu’on sait,
c’est que moman, la semaine passée, a organisé une grosse partie de cartes. Les
gens sont venus de partout. Il y a du monde qui a chanté, les Goudreault ont
fait de la belle musique, moman a récité un Ave Maria…
    – Un quoi ?
    – Un Ave Maria.
    – Moman ?
    – Ben oui. Pis elle était bien bonne.
Elle a travaillé comme une folle pour préparer cette soirée-là. Elle a même
donné la machine à tricoter de Paul pour remettre comme prix de présence.
Quatre jours après, elle nous annonce qu’on déménage.
    – Paul tricote plus ?
    – Non… Paul est parti en Abitibi.
    – Faire quoi ?
    – Il va être représentant pour Kik Cola .
    – Paul ?
    – Pis c’est pas tout. Alice s’en va aussi
pour travailler au magasin d’Émilien. L’enseignement, elle aime pas ça. Ça fait
que moman lui a demandé d’aller aider son frère.
    Jeanne pleurait sans cesse sous l’avalanche de
mauvaises nouvelles.
    – Pis toi, Jeanne, tu viens toujours pour
ton examen d’admission le mois prochain ?
    – Je le sais plus. Moman va être toute
seule dans son rang. Rolande reste au pensionnat de Saint-Tite. Des fois, je
pense que ça serait mieux que je sois ici.
    – Tu veux être garde-malade ou tu veux
pas ?
    – Je veux, mais…
    – Si tu veux, c’est ça que moman va
vouloir que tu fasses.
    Blanche s’était assise. Tant de
bouleversements la tracassait. Sa mère quitter Saint-Tite ? Il y

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