Le cri de l'oie blanche
que c’est le
cousin de Germaine Larivière. Ouach ! Le cousin de Germaine Larivière ! »
Le teint de Marie-Louise passa rapidement du
blanc au bleu. Le personnel infirmier cria presque un impuissant
« non » quand Marie-Louise entra en convulsions.
Blanche délirait presque maintenant, sous
l’effet du choc. Elle venait de comprendre que son amie mourait.
« C’est ça, Marie-Louise. Tu entends la
musique pis tu essaies de danser. Danse, Marie-Louise. Mais respire !
Respire ! Tu étouffes. Respire donc ! »
Blanche errait dans les corridors, cherchant
désespérément un coin de tranquillité. Elle descendit au sous-sol et ouvrit la
porte de la morgue. Ici elle aurait la paix, avec Marie-Louise. Elle entra, ne
vit personne, referma la porte derrière elle, s’accroupit sur le plancher, se
tenant la tête à deux mains, dans un geste d’incrédulité. Sa respiration se fit
plus haletante et un cri, venu elle ne sut d’où, déchira d’abord ses poumons et
son cœur avant de fendre l’air.
QUATRIÈME PARTI E 193 3- 194 5
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Blanche était assise devant l’hospitalière en
chef. Elle retenait le tremblotement de ses mains, sachant que, quoi que la
religieuse pût lui dire, elle ne reviendrait pas sur sa décision. Depuis
qu’elle avait obtenu son diplôme, depuis que les médecins ne cessaient de
gronder à propos de leurs conditions de travail, elle avait beaucoup réfléchi.
Elle quitterait le personnel de l’hôpital pour faire du service privé.
– Vous êtes la première de votre classe.
Vous avez une réputation incroyable. Les patients, les médecins et tout le
personnel vous apprécient. Nous avions même pensé à vous faire enseigner, ce
qui est exceptionnel. Seules les religieuses enseignent.
– Merci du compliment mais ma décision
est prise.
– Irrévocablement ?
– Oui.
– Vous me promettez que vous ne
travaillerez que dans notre hôpital ?
– Oui. Quand je serai appelée en milieu
hospitalier.
– Vous avez le téléphone pour que nous
puissions vous joindre ?
– Oui. J’ai trouvé une chambre, au 1871
de la rue Sherbrooke, près de Papineau. Je pourrai être ici dans le quart
d’heure qui suivra un appel.
Tout en parlant, l’hospitalière n’avait cessé
de lisser sa cornette de tulle noire . Elle
soupira et sourit tristement à Blanche.
– Vous avez beaucoup changé depuis votre
arrivée.
Voyant que Blanche ne voulait pas engager la
conversation à ce sujet, elle enchaîna rapidement :
– Mais tout a changé ici. À commencer par
la supérieure de l’hôpital. Nous avons de nouveaux dispensaires dont une
clinique pour le diabète. Je sais que vous avez suivi cela de près. Ensuite, l’ an dernier, les étudiantes ont pu entrer dans leur
nouveau pavillon. Vous l’avez étrenné après… enfin. Même les nouveaux uniformes
des étudiantes sont différents. Plus pratiques. Moins encombrants. C’est quand
même dommage que votre sœur ait été malade à deux reprises et se soit vue
forcée d’abandonner. Une appendicectomie suivie presque immédiatement d’une
typhoïde, ce n’est pas de chance.
– Jeanne est bien maintenant.
– Je l’espère.
Blanche se demandait quand se terminerait
cette conversation dont un des buts était d’éviter de prononcer le nom de
Marie-Louise. Depuis son décès, Blanche s’était refermée. Elle n’avait plus
réagi aux attaques de Germaine qui, fort heureusement, avait laissé le cours au
milieu de la troisième année pour épouser un médecin. Blanche avait aussi
abandonné son petit commerce, lasse d’en être humiliée. Elle regarda sa montre,
suivant instinctivement la trotteuse comme le faisaient toutes les infirmières.
– Je ne voudrais pas vous retarder.
– C’est que j’ai promis de remplacer une
garde-malade. En obstétrique.
– Même pour votre dernière soirée, vous
avez décidé de travailler. Là-dessus, vous n’avez pas changé. Alors, allez-y.
Nous nous reverrons probablement à tous les jours.
– Probablement.
Blanche sortit du bureau et se hâta de monter
au service. Si elle avait été médecin, c’est en obstétrique qu’elle se serait
spécialisée. À cause de la force et de la fragilité des mères. À cause de la
force et de la fragilité des bébés. Elle passa à la pouponnière, comme elle le
faisait toujours, regarda les nouveau-nés en souriant, puis rejoignit le poste
d’observation.
– Rien de spécial ce
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