Le cri de l'oie blanche
Votre père va de
mieux en mieux.
– Vous pensez ? Je ne vois pas de
différence.
– Peut-être pas, mais ses signes vitaux
sont meilleurs. Blanche avait promis à M. Qui de ne pas révéler qu’il
jouait la comédie à sa fille, sachant que ces minutes de joie étaient ses
dernières. Jacynthe l’avait quittée pour retourner à ses préparatifs, oubliant
d’entrer pour tenir la main de son père.
– Monsieu r Qui ,
j’ai une belle surprise pour vous. Blanche sortit de la chambre et revint en
poussant un fauteuil roulant.
– J’ai déjà dit non.
– Ça me ferait un beau cadeau de Noël…
– J’ai dit non.
M. Qui referma les yeux et Blanche sut
qu’elle l’avait blessé. Elle ressortit le fauteuil et s’assit sur la chaise à
côté du lit. Elle ouvrit un livre. M. Qui s’endormit pour ne s’éveiller
que le matin de Noël. Blanche était déjà habillée et coiffée.
– Mon Dieu ! M. Qui, vous
ressemblez à quelqu’un qui a passé la nuit à réveillonner. Va falloir que je
lave tout ça.
– Venez donc ici, garde.
Blanche s’approcha.
– Pensez-vous que vous pourriez
m’habiller pis me descendre en fauteuil dans l’escalier ?
Blanche comprit ce qu’il voulait faire.
– Je pense que si vous m’aidez en
bougeant pas dans le fauteuil, pis que la domestique m’aide aussi, ça devrait
se faire. Mais, sincèrement, je trouve que c’est trop dangereux pour votre
santé.
– Moi, je pense que c’est le cadeau de
Noël que je veux. Voir le sapin et les invités.
Blanche faillit répliquer qu’il voulait aussi
s’amuser de la déconfiture de sa fille. Elle n’osa pas, voyant la vie
transpirer par tous les pores de M. Qui.
– On va commencer par vous laver et
changer votre lit. Ensuite, vous allez faire un somme. Après, j’vas vous
habiller. Lentement, pour pas vous fatiguer. J’aime autant vous le dire tout de
suite, je sais pas faire un nœud de cravate.
– Vous me mettrez une lavallière.
Ils suivirent le programme que Blanche avait
tracé en espérant que son patient se découragerait. Contre toute attente, il
s’amusa follement de ce qui l’attendait et Blanche dut le supplier de dormir.
Elle craignait les conséquences d’une telle expédition. Elle hésita, se
demandant si elle devait avertir M me Barbeau. Elle ne le fit pas,
de peur de ternir les derniers rires qu’un pauvre riche se promettait. La
fille, comme Blanche l’avait prévu, était trop préoccupée par sa réception pour
visiter son père.
Au milieu de l’après-midi, le carillon cessa
de sonner. M. Qui avait compté tous les coups.
– Quatre-vingts. Tout le monde doit être
arrivé. Vite, Blanche, enlevez ma robe de chambre, mettez-moi mes boutons de
manchette et ma lavallière et faites venir la domestique.
Blanche obéit tout en hochant la tête. Elle
trouvait que son patient mettait son bon sens à rude épreuve.
La domestique poussa presque un cri en
apercevant son ancien employeur.
– Ma foi, monsieur, on dirait que vous
êtes en meilleure forme que l’été passé !
Blanche trouvait qu’il y avait quelque chose
d’indécent dans ce que voulait faire son patient. Elle demanda à la domestique
de sortir de la chambre et s’agenouilla devant M. Qui.
– Je suis très mal à l’aise avec ce que
vous voulez faire. J’accepterais si vous demandiez à votre gendre de venir
m’aider à vous descendre. Je trouve qu’autrement c’est quelque chose qui se
fait pas.
– Jusqu’à nouvel ordre, je suis chez moi
ici.
– Je sais, M. Qui, mais vous voulez
gâcher leur plaisir.
– Est-ce que vous êtes capable de me
donner trois bonnes raisons de ne pas le faire ?
– Non, mais c’est parce que je connais
pas votre histoire. Vous auriez habité un village comme celui d’où je viens que
je saurais. Je pense quand même que c’est quelque chose de presque immoral. Ils
savent même pas que vous parlez ! Imaginez s’ils vous voient habillé. Sans
dire qu’il est fort possible qu’ils me renvoient.
Blanche avait utilisé ce dernier argument à
contrecœur. Elle trouvait l’idée de son patient amusante. Presque aussi
amusante que la comédie qu’elle avait jouée à Joachim Crête pour dissimuler
l’absence de sa mère. Mais la douleur qu’elle voyait dans les yeux de
M. Qui démentait le plaisir qu’il en retirerait. M. Qui avait laissé
tomber sa tête sur sa poitrine avant de la relever lourdement.
– Allez chercher mon
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