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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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gendre.
    Blanche sourit, exposant franchement pour la
première fois sa dent d’or. M. Qui éclata de son rire muet.
    – Vous m’aviez caché la fortune que vous
avez dans la bouche.
    Blanche cessa aussitôt de sourire.
    – Je sais que c’est laid.
    – Non, c’est beau. Ma fille vous a dit
que j’ai toujours aimé l’argent. L’or aussi. Surtout dans la bouche d’une
personne aussi gentille que vous.
    Blanche était intimidée par le ton de
confidence que venait d’adopter son patient. Elle se releva.
    – Dans le fond, je pense que j’ai ce que
je mérite. Ma fille vient me voir trois fois par jour. Toute ma vie, c’est à
peine si moi je l’ai vue une fois par trois jours.
    M. Qui demeura silencieux pendant
quelques minutes.
    – Avant d’appeler mon gendre,
pourriez-vous prendre mon chéquier dans le premier tiroir de mon bureau ?
    Blanche obéit et M. Qui fit un chèque de
dix mille dollars à M me  Jacynthe Barbeau. Il en fit un second
de mille dollars à Blanche Pronovost. Épuisé par tant d’efforts, il changea
d’idée et lui demanda de faire venir sa fille et son gendre. Blanche transmit
le message à la domestique.
    – Laissez-moi dans le fauteuil roulant.
    Jacynthe et Charles arrivèrent dans les
minutes qui suivirent. Ils refrénèrent un cri de surprise à la vue du père de
Jacynthe.
    – Joyeux Noël, les enfants ! J’avais
envie de descendre mais m’habiller m’a trop fatigué. Jacynthe, je voulais te
donner ton cadeau.
    Il tendit le chèque d’une main tremblante.
Jacynthe le prit et Blanche vit son émoi. Elle savait que Jacynthe n’avait nul
besoin de cette somme mais le geste de son père venait de toucher sa corde
filiale. Jacynthe s’approcha de son père et l’embrassa sur les deux joues.
Blanche ne l’avait jamais vue le toucher sauf pour lui tenir la main du bout
des doigts.
    – Charles, je vais rester ici un peu.
Occupe-toi de nos invités. Dis-leur n’importe quoi. Dis-leur que j’ai mal à la
tête.
    Blanche, aidée de Jacynthe, dévêtit
M. Qui et le recoucha. Jacynthe, tout à coup, posait tous les bons gestes.
M. Qui s’endormit aussitôt que sa tête toucha à l’oreiller. D’un sommeil
tellement lourd que Blanche pressentit qu’il ne s’en éveillerait jamais.
Jacynthe ne retourna pas auprès de ses invités malgré les exhortations de
Charles, qui ne cessait de monter à la chambre.
    – On passe à table, Jacynthe.
    – Bon appétit !
    – On développe les cadeaux, Jacynthe.
    – Oublie pas de jeter les papiers et les
rubans.
    – Les invités commencent à partir,
Jacynthe.
    – Au revoir et merci. À l’année
prochaine.
    – Mais qu’est-ce qui te prend,
Jacynthe ?
    – C’est Noël, Charles. Pour mon père
aussi.
    Charles n’était plus revenu et Blanche s’en
était retournée à sa chambre. Elle avait laissé la porte entrouverte au cas où
Jacynthe aurait eu besoin d’elle.
    – Garde ?
    Blanche fut près d’elle en trois secondes.
    – Pouvez-vous m’expliquer comment mon
père a fait pour avoir l’air si bien aujourd’hui alors que ça fait des semaines
qu’on se demande s’il va vivre toute une journée ?
    Blanche s’assura que son patient ne feignait
pas le sommeil avant de répondre.
    – Ça arrive souvent chez les grands
malades.
    Elle n’avait pas voulu dire
« mourants ».
    – On a tout à coup l’impression qu’ils
vont réussir à se cacher pour l’éternité. Mais ça dure un jour ou deux. Votre
père s’est accroché pour se rendre à Noël. J’ai pas l’impression que maintenant
il en a pour longtemps. Habituellement, les grands malades détestent le jour de
l’ An . Noël, c’est pas pareil. C’est la fin
d’une année. On dirait qu’ils manquent de courage quand ils voient arriver une
nouvelle année parce qu’ils savent qu’ils vont l’abandonner en cours de route.
    Jacynthe avait hoché la tête, des larmes de
tristesse lui envahissant les yeux.
    – Toute ma vie, j’ai détesté mon père. Il
avait jamais de temps pour moi. Il m’a gâtée, ça c’est certain. Il m’a tout
donné. Même sa maison. Mais avoir une fille unique, j’imagine que c’est une
grande déception pour un homme qui a bât i un
empire. C’est Charles qui a pris la relève. Pas moi.
    Blanche comprenait difficilement ce genre de
tristesse. Elle ignorait ce qu’était un empire. Elle avait souffert de
l’absence d’un père, mais l’absence qu’elle avait connue n’avait jamais

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