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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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élèves, sa mère n’avait
enseigné que deux ans au lac aux Sables. Elle avait été forcée d’abandonner son
école à cause de Rolande, victime d’une fièvre typhoïde et temporairement
renvoyée chez elle par les religieuses pour éviter qu’elle ne contamine ses
compagnes. Rolande avait donc menacé de contaminer les élèves de sa mère.
Jeanne avait terminé sa dernière année d’enseignement pour partir, elle aussi,
à Val-d’Or, en Abitibi.
    Blanche se leva en traînant les pieds,
entrouvrit le store vénitien pour regarder la rue Sherbrooke. Elle n’aperçut
qu’une rivière que les caniveaux peinaient à avaler. Elle se plaça devant son
miroir et entreprit d’enlever les pinces qui s’accrochaient encore à ses
cheveux, retourna à son lit et tira le drap de dessus. Elle découvrit une autre
bonne douzaine de pinces. Elle revint à son miroir et décida qu’elle
s’achèterait un fer à friser.
    En essayant de se coiffer, elle pensa à cette
famille qui était la sienne mais qui, apparemment, avait adopté une autre patrie.
Son père, Émilien, Paul, Jeanne et Alice vivaient maintenant en cette Abitibi,
près de Clément qui, lui, était installé à sa frontière. Blanche se demanda
quel attrait ce pays pouvait exercer. Ses frères et sœurs avaient vécu toute
leur vie dans un village, sans cesse harcelés à cause du non-conformisme de
leur mère. Au lieu de vouloir chercher la tranquillité dans une grande ville
comme Montréal, ils partaient vers des villages plus petits, exposant davantage
leur fragilité. Blanche soupira. Quelque chose lui échappait. Ses frères et
sœurs avaient peut-être raison. Là-bas, ils s’étaient regroupés, recréant cette
famille que le départ de leur père avait morcelée. Par son évidente réussite,
Émilien leur permettait peut-être de marcher la tête haute. Seule sa mère,
malgré une année passée dans ce monde presque hors du monde, s’accrochait à la
Mauricie, comme un porte-étendard s’accroche à son drapeau jusqu’à ce qu’il
expire.
    Blanche était certaine que sa mère aimerait
vivre à Montréal. Sa mère, elle le savait, aurait payé une fortune pour qu’on
cesse de la montrer du doigt. En Mauricie, elle était toujours la femme d’Ovila
Pronovost, celui qui avait été déshérité au profit de sa femme et l’avait
abandonnée. La mémoire des gens était courte et presque romantique. Ils avaient
oublié que ses parents s’étaient quittés plusieurs années après que son père
eut perdu sa parcelle d’héritage. Mais leur vie, racontée de cette façon, était
beaucoup plus intéressante.
    Blanche avait essayé de convaincre sa mère de
quitter l’enseignement et de jouir de ce repos qu’elle avait mérité.
    « Pour quoi faire ? Pour tricoter
pis passer mon temps à attendre les lettres de mes enfants ? Non, merci
pour moi.
    – Vous allez quand même pas commencer à
dé ménager à chaque année ! Oubliez pas
que vous allez avoir cinquante-six ans. C’est pas jeune pour une institutrice.
    – J’ai l’âge de mon cœur, ma
fille. »
    Émilie avait posé une boîte lourde de
vaisselle, s’était relevée en soufflant après s’être frotté les reins devant
l’air attristé de Blanche, qui se demandait quel secret enfoui profondément
dans le cœur de sa mère alimentait son goût de vivre.
    « Pis mon cœur en a cent ! »
    Émilie avait ri de sa boutade et Blanche
l’avait imitée pour se rassurer. Quand elle agonisait de sa solitude par les soirées
trop longues et les nuits interminables de Montréal, elle pensait au rire de sa
mère et se demandait pourquoi elle n’en avait pas hérité. Depuis la mort de
Marie-Louise, elle pouvait compter sur ses doigts les fois où elle avait ri de
bon cœur. Elle riait si peu que, lorsque cela se produisait, elle se figeait
presque aussitôt, trouvant cette sensation et ce son étrangers à son corps.
    Elle revêtit son uniforme et aperçut une tache sur sa manche. Elle l’enleva et en mit un
autre dont les coutures commençaient à s’étirer dangereusement. Il lui faudrait
se résigner à emprunter la machine à coudre de M me  Desautels,
pour refaire sa garde-robe de travail. Elle regarda l’heure et acheva de faire
son lit avant d’aller à la cuisine prendre son petit déjeuner. Elle sortit
enfin dehors, prit la direction de l’hôpital, jurant contre la pluie qui avait
déjà plus qu’humecté son uniforme et presque affaissé sa coiffe, et

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