Le cri de l'oie blanche
habitait le logement avant elle s’était évanouie en pleine
nuit, sans laisser d’adresse.
– C’est écœurant pareil, partir comme ça
sans payer son loyer.
Blanche acquiesça avec indifférence, se
demandant où était sa sœur. Elle pensa à téléphoner à sa mère mais ne le fit
pas, par crainte de l’inquiéter. Elle rendit visite à son oncle Ovide, qui ne
lui laissa pas le temps de parler de son projet tant il était heureux de la
voir.
Blanche était troublée. Jamais elle n’aurait
une telle occasion de pratiquer un « semblant » de médecine en
demeurant à Montréal. Son trouble devenait envahissant lorsqu’elle pensait au
bois et à l’odeur de sapinage, à l’aventure qui l’attendait. La violence de ce
sentiment lui faisait tellement peur qu’elle craignait d’être la victime d’une
terrible méprise. D’où, en elle, venait cet engouement pour tout ce qu’elle
avait rejeté ? Elle brûlait de parler de son problème avec Napoléon et
arpenta la rue Papineau au moins vingt fois en direction nord. Jamais elle ne
traversa la rue Rachel.
– Blanche Pronovost à l’appareil.
Elle n’en pouvait plus de s’entendre répondre
cette petite phrase insignifiante qu’elle avait trouvée très chic en commençant
son service privé. Elle inscrivit l’adresse dans son carnet et partit en
avisant M me Desautels qu’elle serait de retour pour le souper.
– C’est une accouchée. Je dois juste
aller voir si tout est correct. Ça devrait pas être bien long.
Elle entra dans la vaste maison et fut
accueillie par une dame fardée et parfumée. Blanche se demanda pourquoi la dame
mettait autant de maquillage si tôt le matin.
– C’est pour ma bru que je vous ai fait
venir. Elle vous a demandée. Je crois que vous la connaissez. Si vous voulez me
suivre à sa chambre…
La dame ne termina pas sa phrase, pinçant le
nez comme si elle avait omis de vaporiser ses mots d’eau de toilette. Blanche
marcha derrière elle en portant sa cape sur le bras, personne ne lui ayant
offert de la suspendre. Elle détestait ce genre de clientèle qui la regardait
de haut avec une espèce de mépris marqué pour sa condition de célibataire au
travail. Au milieu de l’escalier, elle entendit les cris d’un nouveau-né.
– C’est mon petit-fils. Depuis que ma bru
est rentrée, il ne cesse de hurler comme ça. C’est lassant à la longue. Mon
cher fils unique, qui est médecin et que vous connaissez sûrement, n’a jamais
pleuré comme ça.
Blanche leva les yeux au plafond, plaignant la
pauvre bru. Elles entrèrent dans la chambre et Blanche retint un petit cri de
surprise en voyant sa patiente. Elle ne la plaignit plus.
– Bonjour, Blanche Pronovost.
Blanche s’était attendue à un accueil froid
mais de se faire appeler par son prénom et son nom dépassa ses appréhensions.
Le dédain qu’elle sentit la fit presque rebrousser chemin. Mais le nourrisson
s’agitait tellement dans les bras probablement inconfortables de sa mère
qu’elle ne bougea pas.
– Je vois que tu mets encore autant de
temps à bien repasser ton uniforme. Je vous l’avais dit, belle-maman, que
Blanche était la propreté même.
Blanche dévisagea Germaine Larivière en se
demandant pour quelle raison elle l’avait fait venir. Elle posa sa cape et
s’approcha du lit. Elle tendit les bras pour prendre le bébé mais Germaine
resserra son étreinte.
– Je pense que belle-maman ne t’a pas
encore expliqué ce qu’on attendait de toi. Je suis capable de m’occuper de mon
enfant. Ce que je ne réussis pas à faire, c’est mon lit, le moïse de mon fils
et le ménage de nos chambres.
– Je comprends ça, Germaine. Mais quand
on se relève de ses couches…
– Je suis capable d’aller seule à la
salle de bains. J’ai surtout pas besoin que tu installes de bassin de lit.
Blanche, pétrifiée, demeura à côté du lit, se
demandant si elle devait exiger de regarder l’enfant ou laisser Germaine à ses
chimères de riche épouse, femme de médecin et mère du prochain héritier.
– J’aimerais aussi que tu repasses mes
chemises de nuit et mes déshabillés. J’en ai acheté plusieurs et je ne voudrais
pas avoir l’air défraîchie quand mon mari rentre le soir.
Blanche accusa le coup. Germaine l’avait fait
venir pour l’humilier. Pour lui montrer la splendeur de sa vie en comparaison
de la sienne, toujours aussi frugale.
Les cris du bébé fendaient l’air et la
belle-mère de
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