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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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Beau coin sans surveillance, ma fille. Si j’avais su…
    Elle ne termina pas sa phrase, voyant que
Blanche ne l’écoutait plus. Sa fille s’était saisi les épaules et les serrait,
la tête inclinée, les yeux fermés. Émilie la laissa seule à l’avant du rocher
et passa derrière. Sa fille s’offrait au vent comme elle s’était offerte à
Ovila le soir de leurs noces. Émilie écrasa une larme au moment où Blanche
laissait les siennes mouiller la pierre grise.
    – Êtes-vous certaine, moman, que
l’enseignement vous fatigue pas trop ?
    – Blanche, cesse de me parler comme une
garde-malade. Je suis pas malade. Les seuls malaises que j’ai, c’est quand je
fais monter ma pression parce qu’un élève me choque. J’ai le mal de
l’impatience. Rien de plus. Mais toi, prends soin de toi.
    – Je suis pas une cliente assez payante.
J’aime mieux prendre soin des autres.
    Elles s’embrassèrent et Blanche quitta sa mère
et sa sœur par ce train qui était toujours en retard et que, malgré ce défaut,
elle accueillait toujours avec joie.
    Blanche rentra à Montréal et, pour la première
fois, regretta que personne ne l’attende sur le quai de la gare. Sa chambre lui
parut exiguë et M me  Desautels plus présente que jamais. Elle
passa deux journées complètes à épousseter, classer et ranger ses papiers,
espérant trouver une facture égarée qu’elle aurait omis d’expédier. Sa
recherche fut vaine. Elle jura contre sa manie de l’ordre qui la privait de
toute surprise.
    Le troisième jour, elle fit acte de présence à
l’hôpital, question de se rappeler au bon souvenir de la sœur économe. Celle-ci
la vit entrer et poussa un cri de plaisir.
    – Blanche Pronovost ! Enfin !
Je vous attendais parce que j’ai quelque chose à vous proposer.
    Blanche s’assit et attendit que la religieuse
laisse partir les deux personnes qui la suppliaient de les embaucher. Elle se
tourna vers Blanche en hochant tristement la tête.
    – Je dois recevoir au moins cinquante
demandes par semaine. Peut-être même cent. L’argent est rare, Blanche. Même aux
États-Unis, il paraît que ça va encore mal. Il me semble que six ans, ça commence
à être long pour le pauvre monde.
    Blanche se sentit rougir. Depuis qu’elle était
arrivée à Montréal, en 1929, elle avait été plus qu’à l’abri de tous ces
problèmes. Elle avait même rapidement tourné les pages des journaux, lasse
d’entendre parler de misère. La sienne lui avait suffi et celle des autres lui
avait toujours semblé trop lourde à porter.
    – Bon. Je vous ai dit que j’avais quelque
chose à vous proposer. Est-ce que vous seriez prête à partir pour
l’Abitibi ?
    Blanche reçut le coup de poignard en plein
cœur. Et le cœur qu’il toucha, au lieu de s’éteindre, s’anima.
    – Travailler comme garde-malade ?
    – En théorie. Mais avec cent milles
carrés de territoire d’une paroisse qui naît, encore plus au nord qu e La Sarre, c’est presque de la médecine que vous
feriez. Le ministère de la Santé nous a demandé si nous connaîtrions quelqu’un.
J’ai pensé à vous. Vous avez de la famille là-bas, si ma mémoire est
bonne ?
    – Oui. Presque toute ma famille.
    – Je crois que vous êtes la candidate
parfaite. Et le salaire est formidable. Presque autant que font nos médecins.
Deux cent cinquante dollars par mois. Quand on pense que certains pères de
famille font aussi peu que vingt-cinq dollars, c’est presque miraculeux, pour
ne pas dire scandaleux.
    Blanche ne voulut pas montrer que cette remarque
la blessait. La religieuse venait de porter un jugement qui lui déplaisait.
    – On aurait besoin de moi pour
quand ?
    – Au plus tard en mars prochain. Ça vous
donne sept mois pour vous préparer.
    – Quand est-ce que je dois donner ma
réponse ?
    – J’aurais aimé que vous le fassiez
aujourd’hui, mais si vous voulez réfléchir…
    – À la mi-octobre, est-ce que ce serait
trop tard ?
    – Mi-octobre ?
    – Oui.
    La religieuse accepta, rappelant à Blanche
qu’elle-même avait promis de répondre au gouvernement à la fin octobre. Blanche
rentra chez elle, troublée et agitée. Elle passa trois longues semaines
d’insomnies, traînant son corps froissé dans un uniforme repassé au chevet de
patients presque en santé. Elle alla chez Marie-Ange pour lui demander conseil
mais se frappa le nez sur une grosse femme joufflue et boutonneuse qui lui dit
que la famille qui

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