Le cri de l'oie blanche
travail qu’elle vous obtenait que vous
avez pu terminer votre cours.
Blanche étouffait. Comment cette femme qui,
dix minutes plus tôt, semblait lui vouer du respect pouvait-elle soudainement
lui répéter autant d’insanités ? Elle pensa à l’air frais de l’Abitibi et
ouvrit la porte pour en saisir une bouffée égarée.
***
– Je sais que ce que je vous demande est
pas habituel, mais si je dois être seule, sans médecin, je voudrais en savoir
davantage. Je suis prête à payer cette espèce de cours. Je vous promets de
déranger personne. J’vas être le plus discrète possible.
– Pendant cinq mois, vous voulez faire du
dispensaire avec les internes !
– Oui.
– Sans compensation monétaire ?
– C’est ça. Je pense que j’aurais besoin
d’en connaître plus en obstétrique. Je voudrais faire un stage aux accidents de
travail. Il faudrait aussi que j’apprenne à replacer un os brisé.
– C’est le travail du médecin…
– Le plus près va être à Amos. À
quatre-vingt-cinq milles.
– C’est vrai que c’est loin.
– En plus, comme le dispensaire que j’vas
avoir va être tout neuf, il va falloir que je sache quels médicaments faire
venir. Pour ça, j’ai besoin de faire un stage en pharmacologie.
– Apprendre à faire les
médicaments !
– Non, ma sœur. Savoir à quoi ils
servent. Nous autres, les gardes-malades, on nous a montré à les donner. On
nous a pas toujours dit pourquoi. Je sais que la pénicilline existe depuis
1928, mais on la prescrit encore rarement. Il va falloir que je sache quand pis
pourquoi m’en servir.
– Mais c’est le médecin qui prescrit…
– Pas dans le bois, ma sœur. J’ai
beaucoup pensé à tout ça. Si mes renseignements sont bons, c’est dans mon
dispensaire qu’il va y avoir la pharmacie. À part ça, j’aimerais travailler
avec un dentiste. Ça se pourrait que je sois obligée d’arracher des dents. Pour
ça pis pour les accidentés, il va presque falloir que je sache comment
engourdir les malades, sans les endormir, avec de l’éther.
– Mais…
– Est-ce que vous, vous arracheriez une
grosse molaire à froid ?
– Non, évidemment, mais ça peut se faire.
– Ça peut, mais j’ai pas envie d’essayer.
Blanche était radieuse et inquiète. Sa vie,
depuis ce dernier jour de pratique privée qui l’avait conduite chez Germaine,
venait enfin de lui montrer la direction qu’elle voulait prendre. Blanche avait
accepté la proposition qu’on lui avait faite. D’abord exaltée à l’idée de
pratiquer ce que ses collègues appelaient de la médecine de brousse, elle
s’était rapidement rendu compte qu’il lui fallait en apprendre davantage, et
cela le plus vite possible. Les colons qui iraient la voir pour leurs malaises
lui feraient confiance. Il faudrait qu’elle sache le plus exactement possible
comment diagnostiquer leur mal et le soulager. Son euphorie avait cédé le pas à
l’angoisse. Elle disposait de cinq mois pour faire un cours de médecine
accéléré.
– Avec vos études et vos années de
pratique, il me semblait que vous étiez la meilleure candidate. À vous entendre
parler, je me demande pourquoi le gouvernement ne demande pas aux médecins de
faire ce travail.
– Je voudrais pas être méchante, mais
est-ce que vous en connaissez beaucoup, des médecins qui sont prêts à aller
là-bas ? À salaire ? Soigner des patients sans argent ?
– Mais la médecine n’a pas de frontières,
Blanche. La médecine n’a qu’un territoire, celui du corps.
– C’ est ce que je pense aussi. C’est pour ça que j’accepte.
Blanche passa ses journées entières à
apprendre et à regarder faire les médecins. Avec l’appui de Pierre Beaudry,
maintenant réconcilié avec elle depuis son mariage, elle put s’intégrer aux
groupes des internes pour faire les visites, mettant davantage de temps en
obstétrique et en pharmacologie.
– D’après toi, Pierre, est-ce que le
médecin d’Amos, celui qui va être mon patron, va faire l’inventaire ou est-ce que
c’est moi qui vas devoir m’en occuper ?
– Ça devrait être lui. Mais on sait
jamais. On est aussi bien de le faire ensemble, au cas où il aurait pas le
temps.
Parfois Pierre s’arrêtait d’écrire pour la
regarder et lui sourire.
– Tu m’impressionneras toujours, Blanche.
Sais-tu dans quelle galère tu t’embarques ?
– Pas dans une galère, Pierre. Mon frère,
qui est allé voir
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