Le cri de l'oie blanche
les travaux de construction de mon dispensaire, m’a écrit et
m’a dit que pour aller visiter certaines familles, il va falloir que je prenne
un chaland.
– Avec une grande perche ?
– C’est possible.
– C’est malade !
– À moins que je sois chanceuse. Il
paraît que je pourrais avoir un canot à moteur.
– Pis pour les autres, tu vas
marcher ?
– Je pense que oui. Peut-être que j’vas
avoir un cheval.
– Tu sais monter à cheval ?
– Pas vraiment. Je l’ai fait deux ou
trois fois avec un de mes oncles qui élève des chevaux. Je sais conduire une
calèche, par exemple.
– Ha ! les filles de la campagne, ça
sait tout faire.
Leurs conversations étaient rares mais
amusantes. Elles creusaient l’appétit de Blanche, qui avait de plus en plus
hâte de quitter Montréal. L’hiver fut doux et Blanche put courir les magasins
pour acheter les instruments médicaux et les vêtements qu’elle pensait
utiliser. Le mois de mars arriva enfin, précoce printemps. Elle reçut un appel
d’Henri Douville.
– J’ai su, par votre mère, que vous
alliez travailler en Abitibi.
Henri Douville mentait. Sa mère avait
interrompu tout contact avec lui depuis son remariage.
– C’est vrai. Qui vous l’a dit ?
Douville éclata de rire et avoua qu’il
connaissait quelques membres du conseil de l’hôpital.
– Auriez-vous le temps de passer chez moi
ou de me recevoir ? J’aurais un petit quelque chose pour vous.
Blanche repoussa le sentiment que Douville lui
faisait la charité.
– Je pense avoir tout ce dont j’vas avoir
besoin.
– J’en suis certain. C’est un petit
supplément. Est-ce que je pourrais passer ce soir ? Vers sept heures ?
Il arriva et Blanche fut surprise de voir
combien il avait vieilli. Elle fit un calcul rapide. Il devait avoir près de
soixante-dix ans. Il portait une grosse boîte. Elle l’invita à passer au salon,
que M me Desautels lui permettait d’utiliser pour les occasions
spéciales. Douville lui remit la boîte, sans préambule. Blanche, intimidée, commença
à dénouer les ficelles. Elle enleva enfin le carton du dessus. Un frisson lui
fit fermer les yeux. Henri Douville lui avait apporté la plus belle trousse
médicale. Solide. En véritable cuir noir. Avec une serrure et une clef et ses
initiales gravées et dorées. Elle bondit sur ses pieds et lui sauta au cou.
– Merci, monsieur Douville. Je pense que
j’en ai jamais vu d’aussi belle.
– Ouvrez-la !
Blanche ouvrit la trousse, entièrement doublée
de cuir pâle, remplie de courroies pour retenir les fioles et d’espaces fermés
pour les seringues, les ampoules et les médicaments.
– C’est absolument extraordinaire,
monsieur Douville.
Blanche aurait voulu poser la trousse mais
elle en était incapable. Déjà, elle la garnissait mentalement.
– Je suis content de voir que ça vous
plaît. Bon ! Je vous quitte. M me Douville m’attend dans
l’automobile et elle n’est pas tellement patiente.
Blanche se résigna à se séparer de sa trousse
et la posa par terre avec autant de délicatesse qu’elle l’aurait fait pour un
panier d’œufs. Le sourire de Douville l’émouvait.
– Pourquoi, monsieur Douville ?
– Parce que je suis un vieux romantique.
Et il n’y a que deux femmes que je connais qui aient osé faire des choses…
appelons-les « non conventionnelles ». La première, c’est votre mère.
La seconde, vous. Émilie doit en être très fière.
– Oui, pour ma carrière. Non, pour
l’Abitibi. Elle s’obstine à dire que c’est un pays de roches pis de moustiques.
Blanche sentait l’odeur des trains,
surveillant ses valises et ses caisses de médicaments, s’assurant au moins cent
fois que rien n’avait disparu. Elle devait attendre encore une heure avant de
monter. La chaleur précoce de mars était étouffante et plusieurs femmes
utilisaient des pages de journal en guise d’éventail. Blanche se félicita
d’avoir revêtu une robe légère et son chapeau de paille. Ce mois de mars était
le plus merveilleux des mois qu’elle avait vus depuis des années. Elle regarda
à gauche et à droite pour voir si elle n’apercevrait pas Marie-Ange, qu’elle
avait enfin retrouvée rue Wolfe, presque derrière l’hôpital. Elle ne
s’habituait pas à la faillite de sa sœur et espérait qu’elle et Georges
pourraient ouvrir un autre commerce. Marie-Ange ne vint pas.
Le chef de train ouvrit la barrière et invita
les
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