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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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retenait son envie
de pleurer comme elle refoulait la sienne. Toutes les deux, elles fixaient la
fenêtre couverte de suie qui noircissait davantage cette nuit déjà irréelle.
Blanche entendit un cri de métal.
    – La locomotive est accrochée. Tu devrais
partir dans quelques minutes à c’t’heure.
    Blanche hocha la tête, se demandant si elle
devait laisser paraître sa joie ou continuer de la cacher.
    – As-tu l’intention d’aller voir ton
père ?
    – Je passe pas par Duparquet. J’vas être
à trente-cinq milles au nord d e La Sarre.
    Elle n’avait pas répondu directement à la
question. Elle savait, à l’expression de sa mère, qu’elles s’étaient comprises.
    – Tu devrais, Blanche. Parce que la
Blanche qui s’en va là-bas, c’est sa fille. Pas la mienne. La Blanche qui me
ressemble était à Montréal. Le sang, ça parle p lus
fort que n’importe quoi d’autre. Même les années.
    – J’ai compris ça, moman. Quand j’étais p’ tite, je faisais semblant d’acheter des choses.
Dans le catalogue d’Eaton. Une fois, j’avais fait mes valises pour l’Abitibi.
    – Hum ! Faut croire que la piqûre de
moustique vous a tous rejoints.
    Le chef de train appela les passagers. Blanche
savait qu’il le ferait une seconde fois, en agitant son fanal. Elle ne broncha
pas. Émilie lui serra la main et la regarda en souriant presque.
    – Je comprends mon père. Il voulait pas
que j’enseigne, mais il est quand même venu me reconduire. J’aurais pas pu
endurer de pas être venue ce soir. J’ai beau bouder à ma façon, j’ai hâte de
recevoir tes lettres. Tu vas tout me raconter, Blanche ?
    – Oui, moman.
    Elles se levèrent et marchèrent lentement en
direction du train.
    – Blanche, c’est quand même de valeur que
tu aies pas pu être médecin.
    – C’est Paul qui vous a dit ça ?
    – Dit quoi ?
    – Que j’avais essayé de faire ma
médecine.
    – Non. Je l’ai toujours su. Depuis le
jour de la tornade. Ça aussi, faut croire que c’est dans le sang. Blanche…
    – Oui, moman.
    – Je pense pas qu’une mère peut être plus fière que moi ce soir.
    Elles s’embrassèrent et Blanche monta
l’escalier à reculons, pour essayer de saisir toutes les tache s de bonheur qui parsemaient l’air et la
tristesse de sa mère. Elle agita la main et ouvrit la porte du wagon. Elle se
colla le nez à la fenêtre et continua ses saluts jusqu’à ce que la distance
engloutisse sa mère.
     

45
     
    Blanche fouillait désespérément dans sa
valise. Elle ne trouva que deux chandails de laine et eut un moment de
découragement, se demandant comment elle avait pu être aussi imprévoyante. Une
violente tempête de neige avait attaqué le train pendant le sommeil de ses
passagers. Blanche regarda ses petits souliers à courroie, sa robe de
cotonnade, son chapeau de paille et se trouva ridicule. Le train se frayait
péniblement un chemin, hurlant à chaque passage à niveau. Blanche n’en vit
aucun. Elle pensa que ce devaient être des sentiers de bûcherons ou de
chasseurs.
    Le chef de train annonça qu’ils arriveraient à La Sarre dans quinze minutes. Blanche paniqua et
rouvrit sa valise pour en sortir une vieille paire de chaussures, apportée
parce qu’elle était incapable de s’en départir. C’étaient ses premiers souliers
d’étudiante infirmière, tournés, le cuir écorché, les talons presque aplatis,
les semelles minces comme des pelures d’oignon. Elle prit le sac que sa mère
lui avait remis, en sortit une grosse paire de chaussettes bourgogne et les
enfila. Elle laça ensuite ses souliers abîmés. Sur sa robe imprimée blanc et
bleu pâle, elle mit d’abord le gilet noir, le plus petit, et ensuite le brun
foncé. Elle entra encore la main dans le sac pour en tirer une longue écharpe
marine. Elle la serra par-dessus son chapeau pour le retenir, se couvrant les
oreilles et nouant l’écharpe autour de son cou. Elle aperçut son reflet dans la
fenêtre encore grise et retint son envie de rire devant sa stupidité. Elle
avait l’air d’une pauvresse, attifée de guenilles.
    Les retrouvailles furent heureuses. Seul Paul
manquait au rendez-vous, l’ayant, à son grand plaisir, précédée au canton
Rousseau. Il y était devenu le marchand du rang 6-7. Blanche ne demeura qu’une journée à La Sarre,
passant d’abord visiter le « chef de district », M. Louis
Simard, au Bureau des terres. Elle fut attristée d’apprendre que sa

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