Le cri de l'oie blanche
Comprends-tu
ça ? Vivre, Paul. Ça t’intéresse pas ?
– Non. Non ! Blanche !
– Cesse de m’appeler Blanche. Je suis
garde Pronovost pis je soigne un patient qui, par hasard, s’appelle Pronovost
aussi.
Blanche ne voulut plus l’entendre crier son
désespoir. Elle savait qu’encore une fois Paul voyait son avenir compromis. Où
irait-il chercher la force de combattre ?
Elle l’habilla et emprunta des couvertures aux
Mercier, leur promettant de les rapporter le plus rapidement possible. Elle
força Paul à se lever et prit un balai qu’elle installa comme une béquille sous
son bras.
– Appuie ton pied le moins possible.
Paul le posa aussitôt par terre et rejeta le
balai. Blanche se retint de le gifler. Elle l’installa sur le traîneau, se
demandant d’où venait cette neige qui avait pris le rang d’assaut. Paul,
épuisé, inconfortable, les jambes tendues vers l’avant, le dos sans appui, se laissa emmitoufler.
– Attends ici. J’vas aller chercher
d’autres couvertures pour te faire un dossier.
– Pas besoin de me dire d’attendre, garde
Pronovost. Je peux même pas bouger.
Pour la première fois depuis son arrivée à
Villebois, Blanche ne sentit qu’un glacial mépris encadrant son nom. Elle
installa Paul le plus confortablement possible et porta la valise pour alléger
la charge des chiens. Elle se retint à l’épaule de Paul et courut à côté de
l’attelage, étouffant dans le vent, mêlant ses larmes aux coulisses d’eau que
la neige faisait en fondant sur ses joues. Paul avait fermé les yeux et elle
sentit sa poitrine rapetisser. Plus que tout, elle craignait le coma. Elle ne
se rendit pas compte qu’elle agrippait maintenant son frère pour l’empêcher de
tomber du traîneau. Pas plus qu’elle n’entendit les craquements de douleur de
son épaule, arrachée par le poids de la valise. Elle n’avait qu’une idée,
qu’elle retournait dans sa tête : apercevoir le dispensaire et sortir sa
pénicilline, pour la première fois.
Le trajet lui parut interminable, ses poumons
éclatant à cause de sa course et du vent. Ses jambes fonctionnaient
mécaniquement, insensibles mais calquant sans défaillir leur mouvement sur le
trot des chiens. Elle grelottait de froid partout où la transpiration s’offrait
à l’air libre : dans le cou, aux poignets, à la gorge. Le reste de son
corps, trop chaud, suait son effort. Les jours, les heures comptaient pour Paul
et il lui fallait agir rapidement. Elle se souvenait d’une marche semblable,
presque aussi pénible, qu’elle avait dû faire pour sauver Clément. Elle aperçut
sa maison pendant une légère accalmie et cria à Castor d’accélérer. Castor
tenta d’obéir mais le traîneau toucha une souche et bascula. Paul ouvrit les
yeux mais ne dit pas un mot. Blanche utilisa son écharpe malhabilement nouée
pour lui essuyer la figure, remit le traîneau sur ses patins de bois,
réinstalla les couvertures et souleva Paul sous les aisselles pour le rasseoir.
Il ne s’aida pas. Elle reprit l’attelage en main, courant toujours, tenant
toujours sa valise de plomb, et arriva enfin devant le dispensaire. Jeanne, de
la cuisine, n’avait pu la voir. Blanche s’affala sur la première marche de
l’escalier, mit cinq bonnes minutes à reprendre son souffle et son calme. Paul
semblait s’être rendormi.
– Jeanne ! Jeanne, viens
m’aider !
Jeanne accourut rapidement, le ton de Blanche
ne laissant place à aucun doute quant à l’urgence de sa demande. À elles deux,
elles entrèrent Paul et le montèrent à l’étage pour le coucher. Jeanne le
dévêtit pendant que Blanche descendait à sa pharmacie pour prendre le flacon de
pénicilline. Elle courut à la cuisine, versa de l’eau bouillante sur une
aiguille et une seringue graduée après avoir sorti le piston du corps de pompe
et laissa tremper les trois morceaux avant de les asperger d’alcool. Elle mesura
la dose de pénicilline attentivement, donna une chiquenaude, appuya sur le
piston pour faire sortir du liquide et monta au chevet de son frère qui
gémissait sa douleur et son désespoir. Elle lui fit une injection dans la fesse , espérant qu’il ne ferait pas d’allergie.
– Ça va pincer un peu, Paul. Après trois
minutes, tu vas rien sentir.
Paul dormit le reste de la journée. Blanche en
profita pour aller demander à des voisins de les conduire à La Sarre. Le lendemain matin, elle quitta
Villebois, inconfortablement installée à
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