Le cri de l'oie blanche
qu’Émilie était arrivée à son
école et qu’elle n’avait pas eu l’envie ou le courage de défaire ses valises et
de s’installer.
– Elle a sorti des papiers pis des
crayons, deux couverts, deux paires de draps, en tout cas le strict minimum
pour vivre. Rolande en pâtissait. Moman a enseigné pendant un mois, pis, un bon
samedi matin, elle est partie voir le commissaire qui l’avait engagée pour lui
dire que c’était trop. Elle a remis ses choses dans les valises pis elle est
repartie pour Saint-Stanislas.
– Pas Saint-Tite ?
– Non. Saint-Stanislas. Chez son frère
Napoléon, qui est veuf. C’est là qu’elle reste, à c’t’heure.
Ils s’étaient tus. Blanche essaya de calculer
mentalement combien d’années d’enseignement sa mère avait pu faire.
– Moman a dû enseigner pendant
vingt-trois ou vingt-quatre ans.
– Au moins. Je lui ai demandé. Elle m’a
répondu qu’elle avait pas envie de calculer. Que ça la vieillissait trop.
Blanche continua la fête en riant et en
souriant à sa famille mais le cœur quelque part avec sa mère, dans une maison
de Saint-Stanislas qu’elle n’avait jamais vue.
L’arrivée de Jeanne perturba ses habitudes
quotidiennes mais elle savait que cet arrangement n’était que temporaire,
l’entente étant que Jeanne devait convaincre Paul de l’embaucher. Paul résista
avec toute l’énergie dont il était capable. Blanche demanda donc à sa sœur de
demeurer avec elle en permanence. Jeanne le fit volontiers.
– J’ai pas eu la chance de finir mon
cours, moi. Ça fait que de te regarder faire, d’ouvrir la porte aux malades, de
sentir l’éther, ça va me faire du bien.
– Tu vas pouvoir m’aider aussi. Tu peux
prendre la température de ceux qui attendent. Pis… Est-ce que tu as appris à
faire des pansements ?
– On commençait quand j’ai eu mon
appendicite.
– J’vas te rafraîchir la mémoire. Tu vas
pouvoir faire ça aussi. Pis renouveler les prescriptions.
Voyant que Jeanne avait cessé de sourire, elle
s’empressa d’ajouter :
– Si tu as envie de le faire, évidemment.
Jeanne ne répondit pas. Elle préféra assumer
la routine de la maison. Blanche comprit que sa sœur ressentait probablement
une amertume semblable à la sienne face à la médecine.
L’hiver balaya la plaine sans avoir annoncé
son arrivée. Blanche continua d’atteler sa Ti-Zoune tant que le froid ne prit
pas le bât iment d’assaut. À la fin novembre,
elle dut se résigner à mettre sa bête à la Cache et recommencer à faire ses
visites à pied.
– Tu peux pas faire ça, Blanche. Des
fois, faut que tu marches trente milles juste pour faire un aller-retour. Avec
le froid de canard qu’on a ici, tu vas te geler. Sans dire que tu peux te
perdre dans la poudrerie.
– Ça m’énerve pas. Je commence à
connaître mon territoire comme le fond de ma poche.
Blanche parlait tout en flattant Loulou qui
lui léchait un doigt. Elle eut une idée et annonça à Jeanne qu’elle sortait.
– Où tu vas ?
– Pas loin. J’vas juste demander un
renseignement chez le voisin pis je reviens. Si j’ai des visites ,
fais-les patienter. Ça devrait pas me prendre plus que vingt minutes.
Pendant trois jours, Jeanne essaya de savoir
ce que sa sœur attendait. Blanche souriait et ne répondait pas.
– Donne-moi au moins un indice.
– O. K. Un indice. J’ai décidé que Castor aurait de la
compagnie.
Le quatrième jour au matin, on frappa à la porte
et Blanche ne laissa pas le temps à Jeanne d’ouvrir. Elle enfila son manteau et
sortit au froid. Jeanne se mit le nez à la fenêtre et aperçut un petit traîneau
auquel on attelait Castor et une chienne à peine plus petite que lui. Elle vit
ensuite sa sœur s’asseoir sur le traîneau et encourager Castor à tirer. Il
obéit en poussant des jappements, forçant d’abord pour tirer sa charge, puis
marchant d’un pas régulier. Jeanne hocha la tête d’incrédulité.
« La voilà qui se prend pour une
Esquimaude, à c’t’heure. »
Elle continua de regarder les manœuvres de sa
sœur, se demandant si elle parviendrait à faire tourner l’attelage. Elle sourit
quand elle vit le traîneau revenir en direction de la maison. Elle prit son
manteau et alla à sa rencontre.
– Où est-ce qu’elle est, ma sœur qui
trouvait que la vie de la campagne était trop dure pis qui voulait rester en
ville ?
– Qu’est-ce que tu as à redire ? On
a réussi à me faire
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