Le cri de l'oie blanche
l’apparition des premiers flocons de neige en se fiant à
la date de naissance de sa fille. « Le 18 octobre, disait-elle, regardez
attentivement. Il y a toujours un petit flocon de perdu quelque part. »
Pour l’occasion, Blanche se rendit à La Sarre
pour attendre sa sœur au train et apporter un gâteau aux carottes à Alice. Elle
aperçut quelques flocons. Elle n’était pas sortie de Villebois depuis le
printemps et regard a La Sarre comme une ville
immense. Elle avait perdu la notion des espaces quelque part durant l’été et se
demandait parfois combien grand était l’hôpital Notre-Dame. Ce qui la faisait
rire, c’était qu’elle calculait en arpents et non plus en pâtés de maisons.
Entre l’hôpital et la rue Papineau, pensait-elle, il devait bien y avoir cinq
arpents.
Alice et Émilien l’avaient accompagnée à la
gare. Ils entendirent le train souffler ses derniers milles avant de
l’apercevoir. Il était à peine immobilisé que Jeanne sautait sur le quai de la
gare, l’air rieur, montrant fièrement un immense sac que sa mère lui avait
confié. Blanche en devina le contenu. Derrière Jeanne, Blanche aperçut des
nouveaux arrivants, l’air hagard, serrant sur leur poitrine les quelques sacs
et les rares valises qu’ils avaient pu apporter. Blanche remarqua que deux
hommes, probablement de son âge ou à peine plus vieux qu’elle, les
rassemblaient en faisant d’immenses gestes et en criant pour être entendus en
dépit des crachats de vapeur que le train vomissait.
Blanche s’approcha du peloton, mue par la
curiosité. Il y avait certainement dans ce groupe des futurs défricheurs du
rang 8-9 de Villebois. Elle demeura à l’écart
pendant qu’Émilien s’emparait des valises de Jeanne. Elle n’entendit que
quelques phrases perdues dans les exhalaisons du train. Des mots qui parlaient
de malheur, de chômage effrayant, de pénurie d’argent. Des mots semblables à
ceux que sa mère écrivait. Elle vit un des deux hommes lever la main pour
mettre fin aux jérémiades et sourire en montrant la vastitude des terres et des
bois entouran t La Sarre.
– C’est à vous autres ! C’est comme
ça partout. On sait que c’est pas l’idéal d’arriver en automne mais faut voir
ça du bon côté. Vous serez pas obligés de défricher, de cultiver pis de
construire vos maisons en même temps. Vous allez pouvoir cultiver au printemps,
pis rentrer le soir dans une maison confortable, vos femmes dedans, au lieu de
rentrer dans une baraque.
Blanche remarqua que l’homme n’avait pas cessé
de sourire et que les futurs colons s’étaient laissé entraîner par sa bonne
humeur. Elle aurait voulu s’avancer et leur dire que l’air était bon. Que les
loups sérénadaient la lune. Que les moustiques perdaient intérêt pour leur
chair dès qu’ils en avaient trop mangé. Les rassurer en précisant que partout
où ils iraient il y aurait des voisins, un magasin, une église, une école pour
les enfants et une garde-malade, comme elle. Elle aurait voulu leur souhaiter
la bienvenue en remettant à chacun quelques boîtes de conserve pleines de bons
légumes de son potager. Elle recula d’un pas en voyant que le meneur du groupe
l’avait aperçue et semblait intrigué par sa présence. Elle tourna les talons et
rejoignit sa famille, contente de la voir grossir au rythme des saisons.
– C’est qui, ça, Émilien ? Des
hommes du gouvernement ?
– Non. Des employés des chemins de fer.
Du Canadien National. C’est surtout eux autres qui amènent les colons ici.
– Je sais ça. Mais je pensais pas que le
chemin de fer les faisait escorter comme ça.
– Ces hommes-là sont ici à tous les mois.
Au moins. Avec des nouveaux arrivants. Pis ils vont visiter ceux qu’ils ont
déjà montés. Voir si tout est correct.
Blanche jeta un regard à la dérobée en
direction de l’homme qui précédait maintenant son groupe de colons en les
priant de ne pas le perdre de vue.
Ils mangèrent tous chez Émilien, qui leur fit
un repas royal. Jeanne, qui était allée voir sa mère avant de s’enfoncer
davantage en Abitibi, apporta les dernières nouvelles.
– Vous savez que moman a pris sa
retraite ?
– Quoi ?
Blanche avait sursauté. Elle avait reçu une
lettre qui lui annonçait que sa mère changerait encore d’école pour continuer
son enseignement.
– Oui. Sa retraite. Mais comme vous
connaissez moman, elle a pas fait ça comme tout le monde.
Jeanne raconta
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