Le cri de l'oie blanche
et les moustiques
et le feu. Elle avait envie de crier son chagrin d’avoir tout perdu. Elle ne
dit rien, se contentant de remercier M me Mercier d’être à ses
côtés.
– On va vous conduire au presbytère.
C’est plus confortable qu’à la Cache.
M me Mercier lui tenait
toujours la main. Blanche la retira doucement pour la mettre sous les couvertures.
M me Mercier voulut lui frotter les cheveux mais elle refusa. Sa
tête éclatait à chaque soubresaut de la carriole. Elle ferma les yeux et les
rouvrit aussi rapidement. Derrière ses paupières, il y avait un rideau de feu.
Elle se mit à trembler et M me Mercier ajouta deux couvertures.
La carriole s’immobilisa enfin à côté de la
nouvelle église. Le curé et trois hommes soulevèrent Blanche et l’emmenèrent à
l’intérieur du presbytère. Blanche sentit qu’elle traînait l’odeur du feu
derrière elle et s’en excusa. On la coucha sur un lit propre et M me Mercier
ne quitta pas son chevet. Blanche essaya de se voir comme une malade. Elle
toucha lentement à sa tête et trouva la plaie qui la faisait souffrir. Elle
prit son pouls discrètement et sut que son cœur battait encore son effroi. Elle
frotta lentement sa cheville gauche avec son pied droit. Elle pouvait sentir
l’enflure de la foulure. Elle savait qu’elle n’avait pas de fracture. Elle
essayait de garder les yeux fermés pour éviter que M me Mercier
ne lui parle. Elle avait envie d’être seule avec son mal. Elle réussit enfin à
s’endormir en même temps que les premières lueurs de l’aube filtraient à
travers les rideaux tendus de la chambre. M me Mercier s’éloigna
sur la pointe des pieds et rejoignit le curé.
– J’aurais mieux aimé qu’elle crie ou
qu’elle pleure, monsieur le curé. Elle dort comme une enfant qu’on vient de
chicaner. Avec des sanglots ben silencieux. Elle dort, monsieur le curé, pis il
y a des grosses larmes qui coulent sur ses joues, sans arrêt. Mais on n’entend
pas un son, monsieur le curé. C’est à se
demander si sa gorge a pas été brûlée.
5 1
Blanche regardait travailler les hommes.
Depuis trois jours que sa maison avait brûlé, elle traînait son corps
douloureux près de la fosse que le feu avait remplie de restes calcinés. Elle
avait vainement cherché une chose intacte. Elle avait retrouvé sa petite boîte
de métal dans laquelle elle n’avait vu que des cendres noires, sans ressemblance
avec les milliers de dollars qu’elle y avait cachés.
Elle s’était dessiné des sourcils là où les
siens avaient accentué les lignes de sa paupière. Elle s’était aussi coupé les
cheveux encore plus courts, pour en éliminer les extrémités crépues et
roussies.
La corvée allait bon train malgré le froid
toujours aussi paralysant, malgré le fait qu’elle avait peine à croire qu’un
mois plus tard elle aurait un nouveau dispensaire.
– Votre fête, garde, c’est bien le 27
février ?
– Oui.
– Pour votre fête, vous allez pouvoir
manger dans votre nouvelle maison.
Elle avait souri en remerciant les gens de
leur gentillesse et se préparait, tant bien que mal, à ajuster les vêtements
qu’on lui donnait, pour pouvoir aller au magasin de son frère se refaire une
garde-robe, à crédit.
Les colons avaient monté la carcasse de la
maison quand elle partit pou r La Sarre.
Émilien l’attendait à la gare. Elle essaya de lui sourire mais en fut
incapable. Elle lisait dans ses yeux la frayeur qu’il avait eue et savait qu’elle
répondait à la sienne.
– Pas trop de mal, Blanche ?
– Non. Pas vraiment. J’ai juste… j’ai
juste tout perdu.
Elle ne demeura à La Sarre qu’une journée, le temps que son frère l’oblige à fouiller toutes les boîtes
de vêtements.
– J’ai pas d’argent pour payer, Émilien.
– Ça fait rien. C’est pas ce que tu
prends qui va faire ma ruine. Je suis pas à deux jupons près.
Le soir, les hommes allumaient des fanaux pour
poursuivre les travaux. La nuit propageait l’écho des coups de marteau, du
chant des scies, des cris d’encouragement. Blanche attela ses chiens et fit la
navette entre le chantier et la maison du plus proche voisin pour remplir deux
énormes cafetières.
Blanche regarda l’heure et soupira. À minuit,
elle devait rentrer au presbytère. Les patients viendraient sûrement la voir le
lendemain, davantage pour parler du feu que pour être soignés. Elle ne pouvait
que faire des pansements de
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