Le cri de l'oie blanche
pour moi,
moman. Dites-leur que j’vas écrire.
– Pis toi, ma Rose, embrasse Sarah pour
moi. Dis-lui de prendre soin d’elle.
Le train quitta lentement le quai et Émilie,
enveloppée de vapeur, resta à le regarder s’éloigner. « Moins un, pensa-t-elle. Il ne m’en reste que huit, pour
quelques jours. »
Elle monta à la réception de l’hôtel et
demanda si elle pouvait utiliser le téléphone. Elle chercha le numéro qu’elle
voulait dans l’annuaire et composa lentement. Une voix lui répondit en anglais.
Elle grimaça.
– Vous parlez français ?
– Oui, madame.
– Je voudrais parler à Antoinette, euh… à
M me Douville.
– Qui parle, s’il vous plaît ?
– M me Pronovost. Dites à M me Douville
que c’est Émilie.
Elle attendit pendant ce qui lui sembla une
éternité puis elle entendit la voix joyeuse d’Antoinette. Elles prirent
rendez-vous et, peu de temps après, Émilie se retrouva devant la maison de son
amie. Elle regarda la maison, vérifia l’adresse, marcha jusqu’au coin de la rue
pour être certaine qu’elle était bien rue Dorchester et revint devant la porte. The Towers. Antoinette et Henri ne pouvaient vivre dans un pareil
château. C’eût évidemment été mieux si les maisons n’avaient pas été collées
les unes contre les autres mais Émilie savait qu’en ville la chose était
fréquente. Elle observa la devanture de la maison, comprit qu’elle avait
probablement trois étages – trois étages pour une famille de cinq
personnes ! –, examina la pierre grise, taillée au couteau, solide comme
de la pierre de presbytère, regarda les immenses fenêtres arrondies dans le
haut, la porte d’au moins six pieds et demi de hauteur et se demanda comment
elle faisait pour vivre dans une école de rang sans eau courante et sans
électricité.
Antoinette ne vint pas lui ouvrir. Une dame
portant une robe noire , un tablier et une
coiffe blanche le fit. Elle sourit à Émilie et lui demanda de la suivre. Émilie
se retrouva dans le salon à fixer le plancher de marqueterie qu’Antoinette lui
avait très bien décrit. Elle admira les meubles, tous de bois foncé – Ovila ne
les aurait pas aimés, parce qu’on ne pouvait voir les nervures –, les tentures
de velours, lourdes et suspendues à une tringle de métal doré, les lampes,
toutes plus jolies les unes que les autres, les tapis, à motifs de fleurs –
Antoinette lui avait écrit qu’ils venaient de Turquie et qu’ils étaient faits à
la main. Elle s’assit sur une des chaises, recouvertes du même velours que les
tentures. Que faisait-elle dans une école de rang ?
Antoinette entra en sautillant. Émilie
sursauta. Antoinette ? Mince comme une petite fille. Sans un cheveu gris.
Elle se leva et Antoinette se précipita dans ses bras.
– Ha ! Émilie. Tu es toujours aussi
belle.
Elle ne répondit rien, se demandant pendant
quelques instants si Antoinette voulait se moquer d’elle. Il lui était bien
difficile de ne pas douter de sa sincérité. Elle lui sourit pourtant, essayant
d’avoir l’air franc. Antoinette lui tenait toujours la main et l’obligea à
s’asseoir à côté d’elle. Émilie le fit, mais, voyant l’aisance d’Antoinette à
placer les plis de sa robe, elle s’empêtra dans la sienne. Antoinette ne sembla
pas le remarquer. Elle s’était attendue à trouver une autre Antoinette – depuis
combien d’années ne s’étaient-elles pas vues ? quinze ?
dix-huit ? – mais jamais une Antoinette aussi différente. Elle chassa de
sa pensée l’idée qu’Antoinette avait rajeuni de plus d’années que Berthe, elle,
avait vieilli. En Berthe, elle avait trouvé une vieille. Avec Antoinette, elle
était confrontée à une jeune. N’y avait-il qu’elle qui portait les années une
par une au lieu de les multiplier ou de les diviser ?
– J’ai téléphoné à Henri. Il devrait être
ici d’une minute à l’autre. Tu restes à souper pis à coucher. On te garde
prisonnière.
– C’est que… j’ai loué une chambre au
Viger… pis ma valise est là…
– Nananana. Pas question. Donne-moi la
clef de ta chambre pis j’vas l’envoyer chercher.
Émilie sortit la clef de son sac à main et la
lui remit. Antoinette s’absenta quelques minutes et revint.
– C’est réglé. Pis, Émilie, qu’est-ce qui
se passe à Saint-Tite ? Aimes-tu toujours ton école ? Je peux pas
croire que tu enseignes encore. C’est une vraie vocation, ton
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