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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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dernières nuits debout à regarder la
lune et les étoiles et finalement le lever du soleil. Blanche savait que
lorsque sa mère dormait si peu, elle perdait plus facilement patience en
classe. Ils étaient tous à table, sauf Émilie qui était restée dans la classe
pour terminer des corrections, lorsque Clément se leva promptement et se
dirigea vers la fenêtre.
    – C’est mon oncle Ovide.
    Blanche vit le visage de son frère se crisper,
ses yeux cligner et une larme couler lentement jusqu’au bord de sa lèvre. Il
l’aspira du coin de la bouche avant de courir vers son lit en criant :
    – Mémère est morte. Mon oncle Ovide a un
ruban noir autour du bras.
    Ovide accéléra le pas et se dirigea vers la
porte. Blanche ouvrit une fenêtre et lui dit que sa mère était dans la classe.
Ovide changea de direction.
    Émilie ne mangea rien. Elle mit quelques vêtements
dans une petite valise et prit Blanche à part.
    – Blanche, je m’en vas rejoindre la
famille au lac à la Tortue. Demain, c’est toi qui vas prendre ma classe.
Non ! Dis rien. Tu es aussi capable que Marie-Ange l’était. Tu as rien
qu’à regarder dans mon grand cahier pour savoir quelle matière il faut réviser.
Je devrais rentrer demain… avec le corps.
    Et puis Émilie était partie. Sans ajouter un
mot. Elle n’avait même pas pris le temps de les consoler, elle et Clément. Elle
n’avait même pas pris le temps d’embrasser Rolande.
    La religieuse fut surprise de la voir.
    – Comment, Marie-Blanche, vous n’êtes pas
avec votre mère ?
    – Non. Je suis venue chercher mes sœurs.
Ma grand-mère est morte pis on ramène le corps demain. Il faudrait que mes
sœurs soient à la maison.
    La religieuse ne discuta pas et Blanche put
ramener Jeanne et Alice à la maison. Ensuite, elle alla poster des télégrammes.
Pour Marie-Ange, Rose et Paul. Elle rentra enfin, fourbue et tremblotante, peu
habituée à se promener seule le soir. Au lieu de monter à sa chambre, elle
s’assit dans la classe pour prendre connaissance de la matière à voir. Elle
ouvrit le grand cahier de sa mère et lut pendant deux longues heures,
s’attardant davantage aux commentaires qu’aux notes de cours. Elle apprit chacun
des noms des élèves, leur âge et toutes les difficultés qu’ils avaient rencontrées.
Ainsi, elle sut que le petit Étienne se mangeait les ongles depuis que sa mère
avait eu un autre bébé. Qu’Agathe avait eu des poux pendant l’hiver et
qu’Émilie lui avait fait des applications de thé des bois, allant même jusqu’à
laver ses chapeaux et ses foulards. Que Roland confondait les p et les b , et qu’il
avait tendance à lire à l’envers. Que Marjolaine avait commencé sa vie de femme
en pleine classe et qu’elle avait crié sa surprise et pleuré sa honte.
    Blanche apprit tant de choses qu’elle perdit
la notion du temps. Sa plus grande découverte fut celle de la tendresse que sa
mère avait pour ses élèves. Blanche sourit. Combien grande devait être
l’affection qu’elle avait pour ses enfants ! Elle ferma le cahier et sut
qu’elle avait une grande envie d’être assise au pupitre de sa mère le lendemain.

1 6
     
    Depuis qu’elle avait appris que sa belle-mère
était au plus mal, elle avait eu deux craintes. La première, celle de perdre
cette femme qu’elle avait tant aimée. Pour sa finesse d’esprit, sa grandeur de
cœur, sa générosité d’âme. La seconde, celle de revoir Ovila. Ovila qui lui
reprocherait encore sa décision de ne pas le suivre. Qui rugirait sûrement
d’apprendre que Rose et Marie-Ange étaient toutes les deux seules à Montréal.
    Elle avait prié. Une prière à elle, sans
formule. Une longue supplication, à elle ne savait plus qui, demandant de
l’épargner. Elle avait voulu guérir cette femme à laquelle elle devait sa paix
de l’esprit. Félicité. Le curé lui avait dit que cela signifiait quelque chose
comme « heureuse ». Le joli mensonge dans ce nom. Félicité elle-même
aurait ri de cette blague. Elle avait bien été heureuse. Jusqu’à ce qu’Edmond
et Philomène se laissent. Jusqu’à ce qu’Ovila disparaisse dans ses rêves en
vapeur, à odeur de sapinage.
    Elle avait vu Ovide arriver. Le brassard noir
bien épinglé. Elle avait fermé ses cahiers et avait tourné ses yeux derrière
leurs orbites pour voir dans son âme s’écrouler une grande partie de sa
tranquillité. Elle avait pensé à l’âme de Félicité qui avait sûrement

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